Veille de mardi-gras. Grande fête de l’hiver. Temps du calendrier et des horloges et temps de la météorologie. Ambiance triste pour l’Europe entière en proie à la grande crise systémique, avec Athènes en feu, ses émeutes et ses pillards. La Corse ankylosée sous les amoncellements de neige. Au même moment, l’Ange descend du ciel sur la place Saint Marc et signe le début du Carnaval. Fêtes, luxe et volupté dans une Venise sans glaciation. En Corse le Carnaval était, comme ailleurs, une période de gaîté dans les villes et les villages. Il a presque disparu des rues et des places au sein d’une île où même ses dates sont devenues incertaines. De toute façon la belle humeur des villages était avant tout celle des enfants. Or l’on ne voit plus, dans l’intérieur déserté, ces groupes juveniles qui faisaient résonner leurs jeux, leurs chants et leurs cris de joie. Les villes de la côte affichaient l’autre jour la lecture-spectacle d’un livre intitulé « U Murtoriu ». Titre qui en dit long sur l’atmosphère psychologique doublant la météorologique, en faisant tinter, à la mort, la sonnerie des cloches. Néanmoins apportons, sinon le rire du moins un certain sourire en rappelant le temps du Carnaval, à l’époque où même en Corse il apportait amusement et joie de vivre pour tous. Et dans le Carnaval la prééminence du Roi, satire sans méchanceté du pouvoir et de ses entités étatiques avec leurs souverains, barons et conseillers. Le peuple contre les élites ? Plutôt catharsis, purification et défoulement consentis. Alors, allons-y sans arrière-pensées. Le personnage central du royaume de Carnaval est comme il se doit son roi. La monarchie est constitutionnelle et coutumière. Le souverain toujours mâle, est élu et renouvelable tous les ans. Il est flanqué de ses bouffons, de sa cour et de ses ministres. Généralement choisi par le peuple il est un homme de revenus modestes, autant que possible marié et père de famille. Sa fonction régalienne est d’assurer la gourmandise. A cet effet il prélèvera des impôts et taxes qui alimenteront sa table. Les sujets seront imposés arbitrairement tout en tenant compte de leurs ressources. Le boulanger fournira pains et tartes, le jardinier les fruits et légumes, le boucher la viande, le pêcheur les poissons, l’éleveur un animal sans oublier le vigneron et ses dame jeannes etc… Les rentiers et retraités paieront en espèces. Les plus démunis apporteront des œufs ou du fromage et d’autres s’acquitteront en travail. Bref, les administrés témoigneront de leur consensus et banquetteront avec les administrateurs. Ils auront l’honneur d’inviter les passants et habitants des villages voisins. Les guitaristes, violoneux et chanteurs animeront la fête et feront danser les convives. La fonction régalienne comporte la justice. Le roi renseigné par ses sbires pourra ouvrir le procès d’un jeune homme. S’il avoue en pincer pour une demoiselle, celle-ci sera convoquée et si elle est d’accord le roi prononcera les fiançailles et l’on fera ripaille. Ah ! Les belles villageoises, le bon vin, les chansons et l’éternel Cupidon. Mais la monarchie de Carnaval finira le mercredi des Cendres. Ainsi se terminent les fêtes et la joie.
Marc’Aureliu Pietrasanta