Francesca Weber signe un recueil de nouvelles, La passante des Cimes, aux Éditions Colonna, qui décrit un univers magique. Ce quatrième ouvrage est pétri de cette terre de Corse et de ces femmes qu’il dépeint avec justesse et sensibilité. Teodora, Antea et Stella sont trois personnages passionnés, entiers qui tracent leurs destins entre deux mondes sur cette terre et vers un ailleurs céleste. Un ouvrage à découvrir que nous évoque avec passion cette auteure de Serra di Scupamena, village niché dans les montagnes porteuses de cette âme corse. Elle déroule ce fil reliant le monde d’en-bas et celui d’en-haut, quelque chose qui rappelle l’ici et l’ailleurs du philosophe Jean- Toussaint Desanti. Mais, tout comme pour Alphonse Daudet, le sommet à atteindre existe pour tous, tant pour les puissants que pour les humbles : « il y a dans la vie de tous les hommes une heure d’or, une cime lumineuse où ce qu’ils peuvent espérer de prospérités, de joies, de triomphes, les attend et leur est donné » (extrait Le Nabab). Una bella prumessa, ùn hè vera ?
Comment est née l’idée de cet ouvrage ?
J’ai souhaité, à travers ce quatrième ouvrage, poursuivre mon travail de mise en lumière de la culture magico-religieuse de la Corse. Cet aspect du patrimoine insulaire a surtout été traité par les ethnologues ou les ethno-historiens comme Dorothy Carrington, mais a été moins abordé sous l’angle littéraire. En outre, la vie des confréries et ma participation à leurs offices et cérémonies m’ont donné l’idée de valoriser leurs pratiques ainsi que la thématique de la foi en Corse. La ville de Bonifacio est à ce titre un exemple remarquable : elle est le lieu emblématique constituant le cadre de la seconde nouvelle intitulée « La mémoire ressuscitée », qui se déroule durant la semaine sainte.
Trois héroïnes aux personnalités fortes sont-elles le lien entre les différentes nouvelles ?
Teodora, Antea et Stella sont mes « filles » littéraires… Elles sont pétries de la terre de Corse, irriguées de l’eau sauvage de nos sources, portées par les vents insulaires et embrasées par le feu de l’âme corse. Le lien entre les différentes nouvelles est celui que tissent les trois héroïnes entre le profane et le sacré, la matière et l’esprit, l’En- Bas et l’En-Haut. Médiatrices entre le monde visible et le monde invisible, elles sont à la fois enracinées dans leur territoire et citoyennes du ciel. En cela, elles unissent le particulier et l’universel. Le fil conducteur qui confère une unité à ces nouvelles pourrait être condensé en deux mots : « identité et universalité ». Rinatu Coti a eu cette belle phrase dans Intornu à l’essezza (De la faculté d’être) que je pourrais revendiquer pour définir le sens de mon travail d’auteur : « L’homme d’un lieu parvient à l’universalité, c’est-à-dire à l’humain, non pas en tentant d’être identique aux autres hommes d’autres peuples, mais au contraire en donnant amplement vie à tout ce que la tradition a peu à peu déposé en lui. ».
Fantastique et mystère sont au coeur de cet ouvrage. La Corse est-elle une île de magie selon vous ?
Si le fantastique et le mystère sont au coeur de cet ouvrage, c’est parce qu’ils traduisent une façon de sentir et de dire le monde, d’explorer le rapport entre le tangible et l’intangible, la vie et la mort, le conscient et l’inconscient. Pour les Corses, ces deux mondes s’appellent et se répondent constamment. Oui, les pratiques magico-religieuses sont profondément ancrées dans l’île. Certains rites de magie blanche et de chamanisme remontent à l’époque néolithique, à l’ère mégalithique. Ils étaient pratiqués par nos lointains ancêtres de Filitosa et de Cucuruzzu, et le merveilleux réside déjà dans le fait qu’ils aient traversé le temps ! Au cours des siècles, ils se sont christianisés. La signadora, l’incantadora, la sfumadora, les mazzeri salvadori incarnent le patrimoine magico-religieux de la Corse, qui est très riche, particulièrement porteur de sens dans une époque où le monde traverse une crise morale et spirituelle. Ce n’est pas un héritage figé, mais un patrimoine vivant. Aujourd’hui, les signadori se déplacent en voiture, utilisent le téléphone portable, envoient des mails et des textos ! Mais elles oeuvrent toujours par la voie céleste, celle de la magie blanche et de la prière...
La Corse et son aura particulière sont-elles pour vous une source d’inspiration ?
Oui, la Corse m’habite. Elle infuse en moi son essence, sa substance, sa vie. Comme mes héroïnes, je me perçois comme une infime parcelle de ce sol, je ressens en conscience l’attachement indissoluble à cette terre-mère. La terre au sens premier du terme : l’élément, la roche, le sous-sol ; la montagne et les trois règnes de la nature. Chaque ravine, chaque crête, chaque cambrure de cette terre me parle, m’inspire, m’insuffle une vibration subtile, une émotion puissante, un élan pour créer… A macchja est pour moi le lieu de la liberté, de la contemplation, de la création, de la communion avec la nature, de la syntonie avec les éléments. C’est là que bat l’âme de la Corse originelle, éternelle, inaliénable. De ces échanges magiques avec les éléments, de ces temps premiers où l’homme originel vivait en harmonie avec l’univers, l’île de Corse garde la trace et le message. L’aura particulière de la Corse, cette condensation fluidique du granit qui enveloppe l’île d’un voile d’énergies mystérieuses, est une infinie source d’inspiration et de création. Notre île est à la fois un espace particulier, habité par un peuple singulier, et un condensé du grand livre de l’univers, lieu privilégié de l’harmonie qui scelle l’accord entre le divin et l’humain. C’est entre les racines et les rocs, dans les eaux magiques des sources de montagne, que je plonge ma plume…
Francesca Weber Zucconi : francesca.weberzucconi@sfr.fr Colonna Éditions : http://www.editeur-corse.com/ et https://www.facebook.com/editeur.corse
Lisa D’Orazio