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Via Stella « L’animali », un film de Paul Filippi

jeudi 12 avril 2012, par Journal de la Corse

« L’animali », surnom donné au bandit Xavier Rocchini, exécuté en place publique à Sartène, en 1888. Documentaire de Paul Filippi. Une histoire sombre et tragique qui se fait aussi méditation sur la peine capitale.

Point de départ du film : la photographie d’un homme. Celle de Xavier Rocchini accusé d’avoir tué, et rançonné ses semblables, d’avoir dressé des embuscades aux gendarmes, bref d’être un prédateur social n’écoutant que ses instincts meurtriers. Un prédateur qui va également devenir gibier. Proie. Sur le cliché pris par Laurent Cardinali quelques jours avant son exécution les traits ne trahissent pas la brute pas plus qu’ils ne suggèrent l’ange d’ailleurs. Ce visage pourrait appartenir à n’importe qui avec cette esquisse de sourire énigmatique, avec ce collier de barbe noire, avec ce regard ni vraiment cruel ni véritablement avenant. Un portrait banal en somme. Sauf cette camisole de force entravant ses bras indiquant qu’on est en présence d’un individu pas tout à fait ordinaire ! A l’évidence le photographe – en artiste qu’il est – a soigné la mise en scène du condamné. En effet, sans caricaturer elle souligne qui si dangerosité de l’homme il y a, celle-ci est maitrisé par la loi et l’ordre édictés par la société. Le film de Paul Filippi restitue le contexte d’une époque où la férocité des mœurs ne se cantonne pas à l’univers de la criminalité, mais où la République sanctionne sans états d’âme ses déviants, où la sensibilité humaniste s’apparente à de la faiblesse. Ce documentaire sans indulgence nous épargne le panégyrique de soi-disant rebelles dressés contre l’appareil d’État, et jouissant de l’unanime soutien des populations. On est loin de la légende dorée des bandits souverains en leur palais vert du maquis. On est dans une réalité où la mort répond à la mort, où l’élimination d’un chien suscite de sanglants affrontements, où l’insécurité est partout. « L’animali » raconte aussi le cheminement d’un condamné à la guillotine. Étapes par étapes une chronique de cette fin décidée. Ton très personnel du réalisateur pour évoquer un parcours d’homme vers l’inéluctable. Images et commentaire reflètent des zones obscures d’une histoire qui conserve bien des mystères et qui interroge encore notre présent.

Michèle Acquaviva-Pache

Diffusion sur Via Stella, dans le cadre de la collection « Ghjenti », le 20 avril à 20 heures 30.

« Raconter l’histoire emblématique et singulière de ce bandit exécuté sur la place Porta de Sartène ». Paul Filippi

A quelle occasion avez-vous eu connaissance de l’exécution du bandit, Xavier Rocchini, en 1888 ?

Je voulais faire un documentaire sur la peine de mort et la guillotine. Sans doute parce qu’enfant j’ai été marqué par l’abolition de la sentence capitale… J’ai revu « Le juge et l’assassin » de Bertrand Tavernier et cela m’a conforté dans mon projet d’aborder l’époque des exécutions et ces années-là en Corse. Parler du bourreau ou du condamné, j’avais ces deux options et j’ai choisi cette dernière. Au cours de mes recherches sur internet j’ai découvert la photo de Xavier Rocchini prise par Laurent Cardinali. Ce portrait et le surnom de « L’animali » attribué à cet homme m’ont déterminé à raconter l’histoire emblématique et singulière de ce bandit exécuté sur la place Porta de Sartène.

La question du banditisme au XIXe siècle en Corse retient-elle particulièrement votre attention ?

Je considère le banditisme tel qu’on nous le présente comme un objet historique vu sous l’angle d’un cliché polluant. Car derrière cette forme de criminalité il y a les modes de fonctionnement d’une société très difficile. Je suis gêné par cette image traditionnelle du bandit dont on fait soit un personnage d’opérette, soit l’incarnation de la violence.

De quelle façon expliquer la fascination suscitée par les bandits en Corse et à l’extérieur ?

Hors de l’île c’est le résultat d’un regard exotique sur la Corse dû au « Colomba » de Mérimée. Dans l’île c’est une manière de répliquer aux attaques dont sont victimes les insulaires en mettant en avant la question de l’honneur illustrée par les bandits. Ces deux folklores se sont nourris l’un de l’autre.

Comment avez-vous construit votre documentaire ?

Il y a eu tout un cheminement… D’abord cette photo de Rocchini avec la mise en scène qu’elle impliquait, et j’ai ressenti qu’il y avait plusieurs réalités dans cette histoire suivant les points de vue retenus. Puis j’ai été aux archives nationales à Paris pour consulter l’intégralité du dossier de celui qu’on appelait « L’animali ». Ensuite j’ai interviewé des spécialistes. C’est au montage que j’ai décidé de me situer comme narrateur face à un mystère en racontant l’histoire de Rocchini sans complaisance pour la brute qu’il était, en plantant le décor vrai d’une criminalité qui reposait sur le cercle vicieux toute puissance/haine.

Un tel sujet aurait pu être traité par la fiction ?

Ce documentaire a beaucoup de points communs avec la fiction. Avec elle il partage plusieurs ressorts dont les aspects tragiques, mystiques, la violence aussi… le fait que le sujet aurait pu être abordé du point de vue de la mère de Rocchini, des juges, de l’assassin, des victimes.

Pourquoi avoir inclus des dessins de vous dans ce documentaire ?

Pour combler le manque d’images en donnant une présence tactile au décor, en rajoutant de l’imaginaire afin de souligner qu’il s’agit de mon point de vue et non d’un reportage !

L’emploi du « je » dans le récit s’imposait donc ?

Au commencement je voulais avoir recours au « tu », mais je me suis rendu compte que c’était de l’hypocrisie en quelque sorte. Si dire « je » n’était pas facile, c’était le moyen de signifier que le propos du documentaire et son traitement n’engageaient que moi.

Votre intention à propos de la bande son ?

Avec Véronique Buresi on a fait un travail collectif au montage. Le son, résonance de souvenirs auditifs de cinéma, devait créer une atmosphère et restituer les tensions de l’histoire. Le son devait donner une dimension sensitive supplémentaire à l’image.

Propos recueillis par M.A-P

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