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UN DUO DE GENTLEMEN

jeudi 8 décembre 2011, par Journal de la Corse

Qu’en est-il du statut ambigu de la lettre ? Est-elle dévoilement d’un moi qui se met à nu, entreprise de séduction donc menteuse et fardée, commentaire de l’action ou action elle-même ? Protéiforme, sa nature est double : elle appartient de facto à l’histoire et à la littérature. Voilà pourquoi l’entreprise de publication des lettres de Paoli menée par Antoine-Marie Graziani recèle à chaque parution un intérêt nouveau. Le portrait de Pascal Paoli apparaît réfracté à travers les prismes divers des événements, de l’histoire, de la transformation de l’homme intime. Il n’est donc point de temps mort ni d’évocation inutile. La période anglaise trop souvent passée sous silence loin d’appartenir à une parenthèse loin des moments où Paoli menait au grand galop les chevaux de l’histoire apparaît dans le volume paru aux éditions Piazzola une des plus riches. Car comme le montre dans une préface pleine d’érudition, de finesse d’analyse et d’élégance littéraire le professeur Francis Beretti qui a établi aux côtés d’Antoine Marie Graziani l’édition critique, elle concerne l’homme privé autant que l’homme public. Elle ressuscite un Paoli embourgeoisé, résidant dans « le quartier le plus aristocratique de Londres », se rendant l’été en villégiature à Bath « la ville la plus élégante d’Angleterre » où il loge « dans le quartier le plus chic », menant une vie réglée par les « obligations d’un homme de Cour ». La traduction des lettres de protagonistes de cet ouvrage fait palpiter le livre d’un souffle de vie inattendu : on croirait entendre ces êtres formés à la Lumière du XVIIIe siècle et qui ont un ton, un tour, une noblesse spirituelle inimitable ! Il y a dans les expressions de Boswell pour peindre le spleen qui le ronge un avant-goût de Chateaubriand et dans les formules à l’emporte-pièce de Paoli pour dépeindre le Londres estival désert ou pour caricaturer ses contemporains une liberté dont Francis Beretti souligne le prix. Exceptionnellement parce qu’il se confie à un familier, Pascal Paoli laisse vibrer sa sensibilité mélancolique aussi bien devant la maladie de son frère Clemente que devant le sort préoccupant de la Corse. La politique bien sûr n’est jamais loin et l’enjeu de cette correspondance est aussi de juger de la « politique intérieure de la Grande Bretagne, de la révolution américaine » et bien sûr de la révolution française que Paoli en état de grâce commente en ces termes : « Quand je verrai ma patrie en paix sous la libre constitution de la France il ne me restera plus rien à désirer ». Bientôt viendra le temps du regret et de la déception. Le grand mérite de ce volume est aussi de faire surgir de l’ombre celui qui fut le thuriféraire inlassable : James Boswell, le bâtisseur de la légende paoline. La belle traduction de ses lettres par Francis Beretti lui prête une voix, attachante, pleine d’inquiétude pour sa femme perpétuellement malade et la destinée de ses cinq enfants ; on voit apparaître un être déjà romantique par la mélancolie qui le ronge, un Obermann qui passe une vie douce, terne et triste illuminée cependant par la révélation que fut pour lui la Corse et sa figure la plus emblématique : Pascal Paoli.

M-H. F

James Boswell et Pascal Paoli. Correspondance 1780-1796/ Ed . A. Piazzola. 123 p. 23 euro.

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