« Tropiques 70 » nous emporte destination Afrique de l’ouest quelques années après 68, en une époque encore pleine d’énergie et d’enthousiasme. Qu’on se rassure, on évite donc les éternelles pleurnicheries de bon ton – à défaut d’être de bon goût – dont les bonnes consciences abreuvent ce continent à défaut de justice et de respect. Avec ce récit en duo autour de la création d’un journal quotidien on est dans une réalité qui nous épargne le conventionnel prêt à penser. Un texte tonique malgré des moments difficiles. Un livre écrit entre la Corse et Israël par deux co-auteurs, Michèle Acquaviva-Pache et Gabriel Roth, et c’est là une de ses originalités. Au final deux écritures. Deux rapports à l’Autre. Deux visions d’une époque et d’un pays, le Bénin, alors appelé Dahomey, toujours évoqué avec sensibilité et tendresse.
Est-ce parce que la Françafrique vient de connaitre une petite mode médiatique que vous publiez ces « Tropiques 70 » ?
Le livre était pratiquement au point en 2007. On n’a attendu ni l’histoire des mallettes de Bourgi ni les récents conflits pour se mettre à l’ouvrage. Seul le titre a changé jusqu’au dernier moment. Au point de départ du récit de nos expériences réciproques, celle de Roth et la mienne, il y a le constat que des faits vécus par deux personnes peuvent laisser des traces bien différentes dans leurs mémoires réciproques même s’il y a aussi conjonction de souvenance.
Le livre est coécrit avec un écrivain israélien francophone, Gabriel Roth. Entre la Corse et Israël comment avez-vous travaillez ce sujet sur l’Afrique ?
Nous avions une matière commune à nos deux récits entremêlés, puisque nous avions travaillé ensemble dans le même quotidien à Cotonou. On a donc écrit chacun de notre côté. Puis de retrouvailles en retrouvailles on a réfléchi à l’articulation de nos apports respectifs. Par courrier, par téléphone, par mails on a tricoté et détricoté le tout jusqu’au texte final.
Qu’est-ce qui était important pour vous à l’époque : le pittoresque, l’exotisme, la volonté de comprendre ?
Le désir de comprendre le contexte dans lequel j’évoluais. Journaliste sous statut local, j’étais indépendante du cadre de la coopération française. J’avais les mêmes difficultés matérielles que mes confrères dahoméens. Ça m’a beaucoup ouvert les yeux et beaucoup rapproché d’eux. Quant à l’exotisme de ma situation, il y a longtemps que j’ai appris qu’on était toujours l’exotique de quelqu’un !
La Corse si présente dans vos précédents romans, dans vos pièces vous n’en parlez pas. Pourquoi ?
Parce que je parle du Dahomey, qui va devenir le Bénin … Parce qu’on n’échappe pas à son contexte, d’où l’accent mis sur mon métier, sur les gens qui m’entourent les confrères avec qui je travaille, sur l’attitude de coopérants et sur la classe dirigeante africaine qui croit diriger quelque chose et ne dirige rien.
Vous brossez un portrait assez peu conventionnel de l’ambassadeur de France, Louis Delamare qui sera assassiné au Liban. Une figure étonnante ?
Il était le champion de l’intervention dans les affaires des Africains au point que s’en était stupéfiant ! Quiconque était doté d’une once de fierté nationale ne pouvait qu’être choqué de ses ingérences continuelles.
Sans exonérer les Africains aux manettes vous décrivez un néocolonialisme français omnipotent. N’est-ce pas exagéré ?
Tous les domaines de la vie publique étaient touchés. Un exemple : l’éducation était comme désincarnée tant elle reproduisait le système de l’ex-métropole ! On ne peut s’étonner dans ces circonstances que Louis Delamare ait piqué une crise à l’évocation de la possibilité d’alphabétiser les enfants du primaire dans les langues nationales dahoméennes. Résultat la majorité des élèves devaient apprendre à lire et écrire un français que, dès l’école finie, ils n’utiliseraient plus.
Dans « Tropiques 70 » qu’est-ce qui prime : le contexte africain vu par deux individualités très différentes ou l’histoire personnelle de chacun des deux co-auteurs ?
« Tropiques 70 » c’est le récit de deux itinéraires personnels où se croisent et s’entrecroisent vie privée et vie professionnelle (donc publique) à l’instar de ce qui se passe dans la vraie vie. Entre le domaine de l’intime et le champ du journalisme on a voulu un point d’équilibre sans gommer nos dissemblances d’origines, de parcours, de statut social ni de rapport de couples : le mien se défait, celui de Gabriel se consolide.
(Interview réalisée par Jean-Noël Colonna)
« Tropiques 70 – Cotonou, « La Gerbe d’Or » et autres « madeleines » De Michèle Acquaviva-Pache et Gabriel Roth, aux éditions de L’Harmattan. 18 euros.