Monter, interpréter une œuvre aussi aboutie que « La voix humaine » n’est-ce pas un peu de la facilité ?
C’est plutôt aller au-devant de la difficulté, parce que ce texte a été joué par de grandes actrices comme Signoret ou la Magnani, et que dans une salle il y aura toujours quelqu’un pour me comparer à elles … ça, ça me fait peur ! Mais j’aime relever les défis.
Ce choix d’une pièce en français, par vous qui vous battez pour la langue corse, a-t-il été mal perçu par certains ?
Directement non. Derrière mon dos des mauvaises langues peuvent toujours trouver à redire … Ce n’est pas parce que je travaille un texte en français que j’abandonne le corse. Le français est aussi une de mes langues. J’aime le dire sur une scène comme j’adore chanter en espagnol. S’exprimer dans une autre langue c’est un exercice musical que j’ai eu l’occasion de pratiquer également en anglais, en arabe, ou en grec.
Les postulats de mise en scène retenus par Lionel Damei ?
Privilégier la sobriété pour valoriser la force des voix à travers le mot et le chant. Éliminer l’artifice au profit de l’investissement dans le corps et l’esprit. Dans ce travail de mise en scène Élisabeth Chiari a apporté une importante contribution.
Sur quels critères avoir demandé la collaboration du musicien, Guillaume Sorel ?
Lionel Damei le connait depuis longtemps et sait que ce violoncelliste a l’habitude du travail de comédien, et peut parfaitement être, lui-même, musicien/acteur.
Vous avez donné des représentations aux Centres Culturels Français d’Istanbul et d’Izmir. Les réactions du public turc ?
Parmi les spectateurs il y avait beaucoup d’étudiants en français. On nous a dit que ceux qui était exclusivement turcophones nous avaient suivis grâce aux chansons et à nos intonations. Les problèmes de communication se sont posés avec les techniciens. On s’en est sorti avec de l’anglais basique.
Vous venez de jouer « La voix humaine » à Madrid. Comment cela s’est-il passé ?
Un public nombreux, et un merveilleux accueil du directeur du Centre Culturel, Jean Jacques Beucler, qui a longtemps enseigné l’espagnol à Ajaccio. L’espagnol, moi, je ne l’ai pas appris mais je le comprends grâce au corse qui est une aide précieuse pour saisir également l’italien, le portugais ou le roumain.
Qu’attendez-vous du théâtre insulaire ?
De la création … plutôt que des adaptations ! Il me semble qu’il faudrait encore travaillez du côté de la mise en scène. Côté acteurs nous en avons de bons et de prometteurs. Si j’aime beaucoup le théâtre amateur qui sait être performant, je suis réservée quant au mélange amateurs-pros, car si l’idée peut être bonne, d’une prestation à l’autre le résultat sur scène peut devenir aléatoire.
Concrètement qu’est-ce qui pourrait faciliter la création théâtrale, ici ?
Disposer d’un Centre Méditerranéen de théâtre qui soit espace de rencontres avec possibilité de travailler avec des professionnels d’ailleurs, espace d’expressions, et de création évidemment. Pour l’heure on reçoit des compagnies, c’est bien ! Dommage que ça ne donne pas d’opportunité d’échanger.
Si les contingences insulaires sont à prendre en compte, n’y-a-t-il pas trop souvent un manque d’exigence du monde du spectacle ?
La qualité existe. Fait souvent défaut la formation avec les compétences qu’elle induit. D’où des penchants à s’autoproclamer ceci et cela ! Se former est une nécessité tout comme la confrontation aux autres, aux artistes de l’extérieur, car elle fait progresser.
Le rôle des politiques est-il à la hauteur ?
La culture fait-elle partie de leurs priorités ? On les voit peu aux spectacles… En tous cas il faudrait repenser le système d’aide parce qu’en l’état il dresse trop les culturels les uns contre les autres. Nous, artistes, devons éviter ce piège de la division.
L’art ! Quelle utilité ?
L’art sert à faire réfléchir, et vibrer. A comprendre le monde. Sans ennuyer, bien au contraire ! Il n’est pas là pour plaire !
Propos recueillis par M.A-P