Qu’est-ce qui vous a déterminé à jouer ce monologue de Ginsberg ?
L’histoire qu’il raconte avec ce rapport si particulier avec une mère qui nous donne ce naufrage/sauvetage écrit par un fils. L’image de ce gamin de 12 ans, aux prises avec une situation qu’il ne peut pas maîtriser et qui lui échappe, m’a bouleversé. La violence de la langue de Ginsberg m’a fasciné, comme ses descriptions sans complaisance, d’une froideur presque clinique mais qui sont aussi imprégnées d’amour.
Les éléments choisis pour la mise en scène ?
Une table. Une chaise. Un porte-manteau. Des déplacements qui impliquent un espace intérieur et un espace extérieur. Personnellement ma recherche ne s’est pas limitée au jeu d’acteur, elle a débouchée sur la danse et la musique dont je ne voulais pas qu’elle illustre simplement le texte.
Les difficultés d’interprétation posées par « Kaddish » ?
La forme du monologue qui repose sur le collage. Les phrases coupées. Heurtées. Saccadées. La ponctuation qui va à l’encontre de ce qu’on apprend dans les écoles de théâtre, et du phrasé obligé. D’où la nécessité de jongler avec les virgules en ayant toujours à l’esprit de tenir compte de la syntaxe originelle. D’où l’utilité de se référer à une musique tel le jazz avec ses techniques de reprise de phrases.
Le socle de « Kaddish » c’est un passé douloureux. Ce côté narratif du texte aide-t-il votre travail d’acteur ?
Dans les parties narratives la syntaxe est plus simple, elles sont donc plus faciles à interpréter. Suivant l’épisode je peux alors devenir le fils ou la mère avec sa folie qui tourne aisément au grotesque. Dans « Kaddish » outre la douleur et le deuil il y a un comique. Parfois volontaire. Parfois involontaire. Cet aspect j’ai envie de le montrer.
Les références au judaïsme vous ont-elles demandé une approche particulière ?
Pour des raisons de longueur j’ai fait quelques coupes. Mais je considère le spectateur comme intelligent et cultivé !.. Ce n’est pas la première fois que je prie dans une langue étrangère. Je l’ai déjà fait en polonais !
Pogroms en Russie, émigration aux États-Unis, militance communiste et maccartisme, Shoah, tout ce vécu de malheur de Naomi n’est-il pas la raison essentielle du déraillement mental de la mère de Ginsberg ?
Je pense que le fait ne n’avoir jamais pu compter sur personne est pour beaucoup dans sa folie. Absence de Louis, son mari. Éloignement de son fils aîné pour ses études… Naomi finit par s’appuyer sur Allen, son cadet, qui est bien trop jeune et dont elle fait de la vie un calvaire…
La place d’Allen Ginsberg dans ce qu’on appelle la « Beat generation » ?
C’est à lui qu’on doit d’avoir réussi à faire publier « Sur la route » de Kerouac et « Le festin nu » de Burroughs, qui sont des livres phare de la « Beat generation ».
Selon vous en quoi la « Beat generation » est-elle révélatrice de son époque, les années 50-60 aux États-Unis ?
Pour moi c’est l’équivalent en littérature de l’expressionnisme abstrait en arts plastiques. La « Beat generation » a fait la culture américaine contemporaine. Les écrivains de cette mouvance étaient des contestataires, et ils ont créé des formes en opposition avec l’ordre esthétique établi. Ils se sont élevés contre l’hypocrisie, contre le puritanisme d’une société qui brimait la création.
Parmi les pièces que vous avez joué que représente « Kaddish » ?
Ce texte m’a passionné. C’est d’ailleurs le propre des œuvres d’art qui disent un moment de vérité incontestable. La poésie de « Kaddish » est un chant d’amour pour une vie de souffrance. La force de cette prière pour une morte résonne comme une réconciliation avec celle qui est partie, cette mère qui a fait tant de mal à son enfant. Réconciliation avec la mort. Avec la vie.
Propos recueillis par M.A-P