« Je m’identifie rapidement à mon sujet en ressentant de l’empathie. C’est bien. Mais en même temps j’ai à garder en tête que je suis un observateur qui doit conserver du recul ». Olivier Laban-Mattei
Cette commande du CMP vous a-t-elle demandé un travail particulier de préparation avant d’aller sur le terrain ?
Je n’ai pas eu besoin d’une quelconque préparation car, Lupino, je connais. Enfant j’y passais toutes mes grandes vacances chez mes grands-parents. Et d’une manière générale comme reporter-photographe je tiens à découvrir les choses sur place – sans a priori – et je m’adapte en fonction d’elles. Ce qui est primordial c’est le contact avec les gens.
Comment les habitants vous ont-ils accueilli ?
Appareil de photo bien en vue j’ai expliqué pourquoi j’étais là et le sens de ma démarche dont la thématique était la mémoire du quartier. Mon approche a été progressive pour gagner leur confiance. Je n’ai pris aucuns clichés directs. A chaque fois ça a marché au coup de cœur et j’ai mis le temps qu’il fallait puisque j’avais une mission à long terme : un mois.
Le traitement de ce sujet – loin des conflits, loin de l’actualité brûlante – vous a-t-il amené à procéder à des changements dans votre manière de photographier ?
On ne change pas de style en changeant de sujet … Comme d’habitude j’ai veillé à n’être ni trop prêt ni trop éloigné de ceux que je photographiais. A Lupino, en l’occurrence c’est plus le cœur que les réflexes du photographe qui a fonctionné.
Qu’est-ce qui vous a le plus touché dans ce quartier ?
La chaleur des échanges avec ceux que je rencontrais … Très vite ils me situaient grâce à mes grands-parents et une familiarité s’instaurait entre nous. Parfois la discussion était si intense que j’en oubliais de photographier ! Difficile alors de retrouver la distance nécessaire à tout photographe dans son métier.
Cette distance qu’elle en est votre définition ? Qu’implique-t-elle ?
Je m’identifie rapidement à mon sujet en ressentant de l’empathie. C’est bien. Mais en même temps j’ai à garder en tête que je suis un observateur qui doit conserver du recul. En toute circonstance je joue cartes sur table en montrant d’emblée que je suis photographe. Car je ne veux pas tromper les gens ni leur mentir.
Lupino c’est en Corse, mais par son bâti est-ce que ça ne pourrait pas être n’importe où ?
On perçoit une corsitude qui perdure dans certaines traditions comme cet arche de palme dressé à la porte d’un immeuble à l’occasion d’un mariage et que j’ai photographié. Lupino est encore un village avec l’esprit particulier que cela sous-tend. Je vois d’ailleurs Bastia comme une addition de villages ce qui n’est pas le cas d’Ajaccio.
L’été dans ce quartier est-il synonyme de rupture dans l’ordinaire de l’année ?
Il y a un côté convivial car c’est la période où, le soir surtout, on aime prendre l’air, et où l’on se rencontre en dehors des bars. Attaché à l’humain je me suis mis au rythme du quartier, qui vit à l’extérieur à partir de la toute fin d’après-midi, lorsque les heures chaudes sont passées. D’où beaucoup de photos de nuit !
On vit bien à Lupino ?
Je ne veux pas idéaliser. Ce n’est pas l’été qui supprime le chômage ou la petite délinquance. Mais j’ai voulu montrer une certaine douceur de vivre … Sans être utopiste et en répondant au thème de la commande du CMP.
Existe-t-il un « vivre ensemble » ?
Il y a de la solidarité … et des oppositions, par exemple entre jeunes et vieux. La promiscuité dans des immeubles non encore rénovés peut également entrainer des clashes de voisinage …
Une remarque ou une réaction qui vous aurait ému ?
… un SDF polonais pénétrant dans l’église le 15 août avec un cierge à la main, et s’effondrant en larmes. Il m’a ensuite confié que la messe lui avait rappelé la perte d’un ami très cher …
Propos recueillis par M.A-P