Dans vos œuvres on retrouve la terre, la couleur, l’écrit … vous ne vous êtes jamais écarté de ces « invariants » ?
Il m’est arrivé de faire quelques petites incursions ailleurs ! Il y a eu ainsi une période plus austère où j’ai utilisé goudron et feuilles marouflées. Depuis trois ans je fais fabriquer mes couleurs.
La terre, pourquoi ?
Elle permet la prise en compte de l’épaisseur sans laquelle on tombe dans une linéarité propre à la peinture narrative. La terre c’est la corporéité du tableau. La terre a un côté à la fois spirituel et charnel … En peinture ce qui prime pour moi c’est le silence et l’immobilité, pas le mouvement.
La terre avec sa dimension allégorique ?
Elle est un matériau riche de sens. Terre métaphorique. Terre nourricière. Je ne pouvais continuer à peindre et à dessiner de façon académique. La terre apporte accidents et relief.
Les autres matériaux que vous avez utilisés ?
A une époque j’ai employé un mélange de goudron et de latex car c’est une matière malléable. C’est arrivé par hasard parce que je suis toujours à l’affût. J’ai aussi utilisé un mélange de bitume et de sable qui se chauffe au chalumeau. Cette idée m’est venue en regardant un ouvrier. Mais je refuse de m’enfermer dans une technique.
Vous limitez votre palette de couleurs au rouge, au bleu, au jaune, au noir, au blanc ?
Actuellement je suis dans une phase de retour à la couleur. Pour aller à l’essentiel je m’en tiens au rouge, au noir, au blanc, au bleu outremer pour lequel j’ai une véritable fascination. En fait mes toiles sont presque des monochromes. Mais si je limite mes couleurs cela ne signifie pas que je recherche une simplification picturale, puisque j’ai recours aux signes qui remplacent le dessin.
Pourquoi cette présence de l’écrit sur vos tableaux ?
L’écrit vient comme une intrusion dans le système pictural. Il me permet de fuir un aspect monolithique de la toile. Il lui donne une autre construction, une autre raison d’être.
Peut-on parler de « matière écriture » ?
L’écrit devient matière … en enrichissant l’ordonnancement pictural, en autorisant une distance vis-à-vis de l’œuvre pour aboutir à une autre vision. Il ajoute du sens également, sans qu’il soit question de lecture. Il vient comme un élément perturbateur qui sème le doute. La « matière écriture » c’est plus de force, plus de vivant !
Qu’est-ce qui vous pousse à peindre ?
C’est une obligation morale. Un impératif auquel je dois me résoudre même si cette idée de se mettre à l’ouvrage n’est pas valorisante en soi. La peinture c’est aussi un gagne pain, donc une contrainte. Mais une fois dans le bain la notion d’obligation disparait. On est ailleurs quand on crée ! L’atelier je peux toujours le déserter quelque temps et y retourner plein d’entrain.
Pouvez-vous vous passer de travailler ?
Il y a des moments de méforme physique et mentale, et d’autres où l’on est plein d’envie, de volonté de faire, ça dépend des événements de la vie. Quand le besoin de travailler est là, on se sent mieux dans la solitude de l’atelier.
Indispensable cette solitude ?
Essentielle … Lorsque je travaille, je dois être seul. Il y a comme une pudeur qui m’interdit de dévoiler le secret qui existe entre moi et l’œuvre … et puis je suis si maladroit !
Il y a vingt ans vous inauguriez la galerie d’Henri Orenga avec Bernard Filippi. Que ressentez-vous à cette évocation ?
Vingt ans c’est un espace-temps considérable et un peu effrayant ! Mon évolution plastique est très lente. Mais peut-on concevoir une œuvre d’art si l’on n’est pas assuré de l’éternité ? Je ne pense pas. C’est pourquoi je ne me sens pas obligé d’être pressé ! Si la mort est une fin, il n’y a pas de projet possible …
Propos recueillis par M.A-P