Qu’est-ce que l’acte de peindre pour vous ?
C’est ne pas subir. C’est se servir du réel pour réinventer, car le réel seul est trop lourd.
Peindre ne se limite en aucun cas à faire du beau ? A une gestuelle ?
Peindre c’est compter les secondes qui nous séparent de la fin. C’est une option morale, une façon de rester debout malgré l’histoire – la grande – et celle vécue par un individu. C’est encore, et peut-être surtout, une recherche sur les mémoires qui nous constituent …
Comment travaillez-vous ?
Je pars du réel, des détails qui me fascinent. J’observe. Je dessine. Je stylise. Je photographie. Les vieux murs, les vieilles portes de Bastia me subjuguent. Dans mes tableaux tout est composé, tout est rigoureux car je suis sous l’influence de l’histoire de l’art et j’ai été formée à l’école de la tradition. Je peux donc en toute conscience décider de ce que j’en rejette, et forger les outils de ma liberté.
Vous travaillez donc tout le temps ?
Le travail amène le travail et plus on va chercher l’image plus celle-ci amène l’image. C’est à l’infini. Sauf en voyage, où mon corps emmagasine ce que je vois et ce que je ressens, je pense constamment à mon travail. J’ai avec moi carnet de croquis et bloc-notes. Même dans mes périodes où je ne me boucle pas dans mon atelier pour peindre, j’observe, je cherche.
La galerie du CAUE avec ses superbes voûtes et son atmosphère raffinée est très singulière. Avez-vous pensé votre exposition pour ce lieu ?
Je savais depuis un an que j’exposerai ici. Il fallait que mon travail épouse le lieu et que le lieu épouse mon travail. Avant l’accrochage j’avais déjà – dans l’ensemble – une idée du parcours à définir entre les œuvres et évidemment il devait y avoir cohérence entre les tableaux. Mieux valait privilégier le choix à la surabondance.
Vos matériaux de prédilection ?
Récemment lors de mon déménagement la beauté du carton m’a sauté aux yeux. J’ai décidé de la sublimer et il est très présent dans mes toiles nouvelles. Si j’emploie des matériaux du quotidien l’œuvre les sacralise. Ces matériaux je les respecte toujours car je les utilise pour eux-mêmes. Je me suis aussi servi de ces grandes enveloppes kraft renforcées aux étonnants reliefs quadrillé. Comme avec les palimpsestes je superpose les couches de matières. Je les gratte, les lacère, les déchire…
Dans votre grammaire picturale des carrés, des rectangles, des horizontales, des verticales, mais pas de cercles. Pourquoi ?
Le cercle ? Je ne peux pas ! Pour moi c’est l’enfermement.
Des signes, des écritures dans vos tableaux. Quelle importance leur accordez-vous ?
Mes écritures sont inventées. Elles ne se lisent jamais. Elles sont là pour la beauté et le rythme du signe, de la trace. L’écrit c’est l’origine. Dommage qu’aujourd’hui avec l’ordinateur, les SMS, le téléphone on n’écrive plus !
Quel rapport entretenez-vous avec la couleur ?
Je la laisse m’envahir mais je la maîtrise, je la dompte. Elle me guide. Avec la couleur j’ai des relations très amoureuses… Le désir, tant qu’il est là, on est vivant. Le désir, à le ressentir c’est presque toucher à l’immortalité.
Le regard du public c’est un besoin ?
J’ai une passion pour les gens. J’aime aller vers eux grâce à ma peinture. Exposer m’angoisse tellement que si je continue c’est pour la rencontre avec les autres.
Propos recueillis par M.A-P