Comment se déroulait le travail avec François, votre frère ?
Il écrivait les textes. Je composais les musiques. Sauf rares exceptions où il était auteur-compositeur. Même si ce que je proposais n’était pas fameux, il était d’accord ! Lui, de son côté ses paroles étaient toujours bien. L’idée de le critiquer ne m’effleurait pas. A part quand il me semblait trop hermétique. D’ailleurs des remarques il n’en acceptait que de moi…
Jamais de chamailleries comme il peut en survenir dans un duo d’artistes ?
Moi, ce qui inspirait mes musiques c’était la valeur de ses textes. Je ne composais qu’après avoir lu ce qu’il avait écrit.
Lequel de vous deux a eu le premier le virus de la chanson ?
Lui, c’était logique puisqu’il était mon aîné de sept ans. Très vite il a été fasciné par Tino Rossi, qu’il imitait, copiait en chantant ses chansons. A la fin je lui ai dit d’être plus personnel. D’être lui-même dans ses interprétations. Bref, d’être naturel !
La chanson, qu’est-ce que ça représentait pour les frères Vincenti ?
Avec François la chanson c’était presqu’une nécessité. On n’a pratiquement rien fait d’autres dans notre vie ! Moi, je n’ai pas dû rester correcteur dans une imprimerie plus de quinze jours. Ça a été un peu plus longtemps pour François à la Caisse des Dépôts et Consignations. Il était très difficile avec ses textes. Il a ainsi mis six mois à écrire « U traguglinu » et encore du temps et du temps pour trouver une fin qui le satisfasse. Il était très exigeant et soignait beaucoup les chutes.
Existe-il des sujets que vous n’avez pas pu aborder ?
Notre grand-père maternel, « traguglinu », nous a inspiré notre chanson éponyme. Mais du vécu de notre grand-père paternel, cordonnier-bottier, on ne pouvait parler, parce que garçon à tout faire chez des paysans son enfance et son adolescence avaient été trop galère, trop douloureuse…
Les thèmes de vos chansons venaient de votre environnement ?
On traitait de sujets qu’on connaissait : le vieil homme qui faisait danser les couples dans les bals ; l’habitant vivant solitaire dans son village abandonné ; l’affaire du partage entre héritiers ; les nécessiteux si proches de nous avec nos pèlerines et nos galoches qui nous faisait honte.
La première grande satisfaction de votre carrière ?
Un festival de la chanson corse à l’Olympia, en 1963. On a fait un tel tabac que les organisateurs ont dû inventer sur le champ pour nous un deuxième prix, pas du tout prévu ! Cette récompense nous a ouvert des portes de studios.
Votre plus grosse déception ?
Il y en a eu tellement ! La disparition subite de Jacques Larue, immense auteur de tubes en 1958, qui est mort brutalement alors qu’on devait le rappeler dans l’heure. Il avait dit être très intéressé par notre travail.
Les impératifs pour réussir une bonne interprétation ?
Croire à ce que l’on chante, ce qui ne signifie pas qu’on ait personnellement vécue l’histoire racontée. Savoir respecter la ponctuation ce qui est indispensable à la justesse du ressenti.
Quel enseignement avez-vous tiré de votre expérience du cabaret ?
Dans notre métier c’est la meilleure des écoles. C’est là qu’on apprend à saisir les attentes du public, à capter son attention, à s’exprimer au moment propice.
Dans quelles circonstances avez-vous décidé d’écrire des textes en corse ?
On est resté cinquante ans à Paris. On a commencé à écrire en français. Mais là-bas les Corses ne sont pas trop aimés ! Certes on a gardé de bons souvenirs de la ville… pas des Parisiens. La langue corse on l’a choisi quand Cannetti, personnage important des variétés françaises, a voulu nous faire faire du yéyé !
Propos recueillis par M.A-P