« Je suis un chercheur, pas un « trouveur » ! » David Raffini
« Amnesia » pourquoi ce titre ? Que représente cette exposition à Patrimonio dans votre parcours de création ?
L’amnésie est, selon moi, une posture pour revenir sur des peintures que j’avais faites et que j’avais détruites pour les reconstituer. Une façon d’effectuer un retour à la case départ pour poser à nouveau la question de la réalisation des choses et des positions que cela implique. Plus ironiquement c’est aussi un clin d’œil à cette boite de nuit, lieu de fêtes par excellence, qui a explosé … Dans cette exposition apparaissent toutes les interrogations sous-jacentes liées au processus de mon travail.
Caisse et moto carbonisées, machine à laver distordue, coffre déglingué, amoncellement de cartouches militaires, quel rôle attribuez-vous à ces objets que l’on retrouve d’ailleurs dans votre vidéo ?
Ce sont les acteurs de mon film et ils sont marqués par cette expérience. En fait si je les ai détruits c’est pour les faire exister ! Chaque objet, chaque pièce se positionne en rapport à la nécessité du FAIRE. Pareil pour les peintures sur tôle qui sont imprégnées, stigmatisées par l’explosion provoquée dans la carrière de Caporalino.
Par les matériaux utilisés vous brassez à pleines mains le concret.Mais n’est-ce pas une manière de rendre palpable vos préoccupations philosophiques ?
Certes dans ce concret il y a des citations métaphysiques. Il y a du Zarathoustra revu par Kubrick ! Cette attitude de toujours revenir à la pratique est un prétexte à modifier ce qui se passe dans le monde.
Vous vous emparez de tous les médiums. Par boulimie ?
Je pense qu’un artiste doit avoir une vision globale. Je ne me préoccupe pas de représenter une chose mais une idée. Si pour y parvenir avec justesse il faut recourir à plusieurs médiums, je suis prêt à passer par la vidéo, par tous les artefacts, par apprendre l’hydraulique, s’il le faut … Je viens d’un milieu modeste où il fallait se débrouiller pour vivre. J’ai très vite été conscient que ma liberté est liée à des possibilités multiples de gestes à relier entre eux… Quel est le sujet de mon travail, si ce n’est les autres ! Mais j’ai une certitude : je suis un chercheur, pas un « trouveur » !
Peut-on parler chez vous d’une obsession du temps ?
Pour moi il y a le temps de la découverte, le temps du travail, le temps de l’affirmation lors d’une exposition par exemple. Là, s’accumulent toutes les strates des éléments temporels. Très forte notion du temps, oui. Mais accompagnée d’un propos universel dans lequel les objets qui peuvent être détruits, sont réactivés.
Vous explorez aussi à fond le rapport espace(s)/temps ?
Peinture et géologie sont successions de strates. Quand on arrive à la dernière couche, on voudrait analyser la graine initiale, celle qui est sous le recouvrement des temps. Contraction de la matière et dilatation temporelle se confrontent en histoire de l’art. Alors, une machine à laver délabrée peut soudain renvoyer à l’image d’une Vierge en pamoison du Musée des Offices !
Pourquoi avoir cassé au marteau « Les méduses du radeau », et pourquoi l’avoir reconstitué ?
Construction. Destruction. Reconstitution. Trois phases pour décortiquer mon travail et son processus ; et pour que se dématérialise la notion d’œuvre entre celui qui regarde et ce qui est montré.
« Amnesia », comme une antithèse de la Corse bucolique ?
Comme ailleurs dans les sociétés occidentales la Corse est … accidentée. Plus en déclin qu’en arborescence, avec beaucoup d’esprits en friches. Moi, par contre, je me sens en effervescence intellectuelle. J’aime ce que je fais, et je questionne les gens sur ce qu’ils font. Ça m’attriste de voir tant de monde ne pas donner un sens à la vie …
Propos recueillis par M.A-P