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Rencontre avec Anne de Giafferri

jeudi 20 octobre 2011, par Journal de la Corse

« Mauvais œil », « Mauvaises herbes », « Mauvais rêves » … Trois fois ce mot, mauvais, pour quelles raisons ?

Parce qu’il sert à souligner la correspondance entre les trois sujets traités. « Mauvais œil », c’est tout de suite significatif. « Mauvais rêves » connote d’emblée une référence aux mazzeri. « Mauvaises herbes », parce qu’on prend fréquemment pour de la mauvaise herbe des plantes très utiles. Là, mauvais et à contre-emploi.

La part de Gilles Blanchard et la votre dans la réalisation de ces films ?

Je suis à l’écriture et à l’enquête de terrain. Gilles arrive directement sur le tournage. Entre nous la complicité intellectuelle et sensible est totale. Notre entente est si parfaite qu’humainement nous avons le même rapport à l’autre. Quand on tourne Gilles est à la caméra et moi au son. Je conduis les entretiens mais il peut aussi intervenir dans les interviewes. On filme en lumière naturelle. La post production a eu lieu à Rennes où nous avons eu à France 3 deux excellents monteurs : Bruno Leroux et Jean Patrice Rouillé.

Vous avez dû rassembler une ample documentation. Est-elle facilement accessible ?

Sur le mauvais œil existe une thèse aussi essentielle qu’introuvable, mais qu’heureusement j’avais. C’est celle de Pierrette Bertrand-Ricoveri, qui date de 1968. En botanique il y a beaucoup d’ouvrages et de publications, y compris sur la Corse. Quant au mazzérisme ce dont on dispose ressort trop souvent du fantasme ou de la superstition de comptoir. En ce domaine l’enquête de terrain était primordiale.

Vous avez tourné au Maroc, en Grèce, en Italie, en Corse. Où avez-vous eu le plus de difficulté à recueillir les témoignages ?

Au Maroc, où l’on a filmé dans le Haut Atlas, près de la frontière algérienne, à la bordure du Sahara, parce que les imams interdisent les pratiques magico-religieuses alors qu’elles restent très répandues. Nous étions également limités dans le temps en raison d’impératifs budgétaires.

Les points de ressemblance entre ces pratiques dans les quatre pays ?

Vivantes. Non occultes. Non secrètes. Voilà ce qui caractérise ces pratiques magico-religieuses et thérapeutiques. Elles peuvent être partagées pour le grand bien de tous puisque nous sommes en terre de magie blanche.

Ces rites reflètent-ils une façon commune d’être au monde ?

Certes, puisqu’on croit en des forces naturelles qu’il n’est pas forcé de définir, et parce que les pratiques qu’elles induisent sont de l’ordre du don, excluant les rapports d’argent ou de pouvoir sur l’autre ainsi qu’une approche psychanalytique. Ces rites impliquent également une certaine relation à la nature.

Aisée la collecte des témoignages en Corse ?

Les choses étaient posées clairement : c’était oui ou non. Lorsque les gens étaient d’accord pour être filmés la technique se faisait vite oublier car sans éclairage artificiel elle était légère.

Ces pratiques sont-elles destinées à avoir barre sur le destin, sur le fatum ou sont-elles là pour avaliser fatum et destin ?

C’est contradictoire. Les réponses obtenues sont fluctuantes … variables selon les personnes … A chacun de se construire sa propre croyance ! Pour les mazzeri il y a une fatalité de la mort, mais en même temps la mort peut être une réalité aménagée.

Note-t-on une évolution dans ces pratiques ?

Comme la société elles évoluent et les signatori se sont mis au téléphone ! Pour ce qui est des pratiques traditionnelles il est frappant de constater qu’elles sont imprégnées d’une grande pureté.

L’attitude des religions officielles face aux croyances magico-religieuses ?

Les religions du Livre ont souhaité détruire ces croyances ou au contraire les récupérer pour mieux les contrôler.

Propos recueillis par M.A-P

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