La Sardaigne possède un patrimoine traditionnel parmi les plus riches et vivants du monde occidental. Les Sardes ont notamment développé un large répertoire pour la voix humaine qui révèle une connaissance profonde de la polyphonie. On s’en rendra compte encore à l’audition d’un beau CD (4 étoiles du Monde de la musique), renfermant neuf chants polyphoniques, exécutés par les « tenores » de Bitti. Son titre : « Romanzesu » (1). Bitti est un bourg des montagnes de La Barbagia-Baronia. Les chants pour tenores sont inspirés par la nature dont ils sont issus. Le groupe des « tenores » de Bitti se composent de quatre chanteurs dont les activités professionnelles sont liées à l’élevage, à l’agriculture et à l’artisanat. Ils ont été consacrés « Maestri del folklore », la plus haute reconnaissance musicale de Sardaigne. Une fusion de voix intense et inimitable. Comme à l’accoutumée, citons quelques titres propres à introduire le fond poétique et musical de cet album. : « Cantu a ballu seriu« , ballade du poète Bartolomeo Serra qui compare la beauté et la grâce d’une femme à celle d’une belle jument., « Cantu a Isterritas », satire du poète Raimondo Piras qui demande à son ami Giovannino Fenu , mort jeune, quel est l’être humain le plus pauvre du monde. Réponse : le pauvre est celui qui a de tout mais ne jouit de rien, c’est à dire l’avare. Citons encore « Mutos » sur un texte de Giovanni Saba Spano dans lequel la désolation hivernale lui rappelle que Nina, sa bien aimée l’a abandonné, mais il espère qu’elle reviendra avec le printemps. Citons enfin « Ballu a passu torratu », chant satirique du poète de Bitti, Remmunu’e locus. Les cinq autres pièces relèvent du même esprit. Ajoutons que l’origine de ces chants est archaïque. Les tenores chantent en cercle en se donnant le bras. Coutume représentée sur un vase de la civilisation d’Osieri, daté de 3000 ans avant J.C. Dans son remarquable livre « Les musiques de Corse » Antoine Massoni écrit : « La tradition n’est ni fossilisation, ni intégrisme. Voilà qui est bon de rappeler à l‘écoute de cet album fidèle aux origines mais sans idées arriérées.
Vincent Azamberti
(1) AMORI. LC 1456 .