La réputation d’Henri Dutilleux, aujourd’hui nonagénaire, repose sur un petit nombre de chefs d’œuvre méticuleusement pensés et hautement raffinés. Sa grande sensibilité harmonique et son sens aigu du détail orchestral s’inscrivent à l’évidence dans la tradition ravelienne, tout en cherchant de nouvelles avancées expressives .Contrairement à ce qui fut jadis,le public mélomane écoute peu aujourd’hui la musique de son temps . Elle n’est pas toujours facile à assimiler, il est vrai mais une grande paresse et un parti pris bien regrettable s’en mêlent ouvertement. Par bonheur une partie non négligeable de ce public ne boude pas la part, loin d’être minime, de son époque ,la nôtre .On ne peut que s’en féliciter, d’autant qu’elle compte dans son ensemble d’incontestables chefs d’œuvre. Henri Dutilleux n’a pas été avare de productions éminentes. Il a su préserver les exigences de goût, de raffinement sonore de perfection formelle. Un coffret de deux albums paru en 2008 chez EMI classics nous en offre l’exemple. (1). On y trouve trois extraits de son ballet « le loup », le concerto pour violoncelle dit « Tout un monde lointain », « l’Arbre des songes », « Métaboles », the shadows of time », enfin la symphonie n°2 dite le double .La distribution est éloquente .On y compte ce qui fut l’orchestre de la société des concerts du conservatoire, devenu en 1967 l’orchestre de Paris, l’orchestre philarmonique de Radio France et l’orchestre national du Capitole de Toulouse. A la direction : Georges Prêtre, Serge Baudo, Myung-Whun-Chung et Michel Plasson. Le loup est écrit sur une intrigue fantasque et grotesque. L’écriture orchestrale est ardente .Le concerto pour violoncelle « Tout un monde lointain » est un atout majeur dans le répertoire de l’instrument soliste. L’œuvre est introspective et secrète. Elle ne se veut pas un morceau de bravoure, même si Dutilleux avait étudié de près toutes les pièces du genre qu’il avait à sa disposition. « Les Métaboles » en cinq mouvements, préfigure le concerto pour violoncelle cité. « The Shadows of Time » pour voix d’enfants et orchestre souligne l’engagement de ne jamais oublier les méfaits perpétrés par les générations passées. La symphonie « Le double » bâtit ses structures sur une division de l’orchestre en groupes instrumentaux. L’interprétation de toutes ces œuvres trouve ses qualités dans l’incontestable talent de chacun des artistes engagés ; même s’il faut tenir compte des différences de leurs dispositions journalières. David Oistrakh à qui un journaliste lui demandait si son luthier était coupable des prestations moyennes lui répondit : « Non, moi pas en forme ». Henri Dutilleux est un esprit libre et son indépendance à l’égard des « Ecoles » n’a jamais compromis ses abondantes qualités de compositeur.
Vincent Azamberti
(1) EMI Classics