Il existe une collection, aux éditions du Lombard, qui unit les grands noms de la bande dessinée. La collection, qui s’intitule Signé, porte bien son nom. « Mezek » est le titre du nouvel opus qui vient enrichir le catalogue déjà très fourni de cette collection. Yann et Juillard nous entraînent en 1948, au moment de la création de l’Etat hébreu. Comme on le sait, cela ne se réalise pas sans heurts, et commence avec les bombes égyptiennes qui pilonnent régulièrement Tel-Aviv. Tel David face à Goliath, Israël ne peut opposer aux chasseurs « Spitfire » ennemis, que quelques vieux « Mezek », pilotés par des volontaires juifs venus de tous les pays. Cet album figure déjà parmi les grands crus de la collection ! Rencontre avec le dessinateur, André Juillard...
André Juillard, qu’est-ce qui vous a attiré dans ce récit ?
Certains événements historiques, tout d’abord. Tout ce qui touche à la création de l’État d’Israël m’intéresse. Ces mercenaires, puis le fait qu’Israël avait secrètement engagé un pilote allemand, qui se trouve en fait être juif ! Les sentiments, la culpabilité et le poids du secret, que pouvait éprouver ce pilote m’intriguaient. Il ne pouvait révéler la vérité. Celle-ci aurait été trop mal comprise, même si les dirigeants de Tsahal étaient très pragmatiques.
Vous semblez avoir bien réfléchi au sujet. Vous est-il arrivé de vous mêler du scénario ?
Non, pas du tout, parce que Yann connaissait très bien son sujet. Je ne suis intervenu que sur des détails de mise en scène. Cela faisait longtemps que nous voulions travailler ensemble et tout s’est très bien passé !
Cette histoire est aussi un retour aux années 1940/50, comme dans « Blake et Mortimer ».C’est un hasard ou vous avez une affection particulière pour cette période ?
L’action de « Mezek » se déroule en 1948. C’est l’année où je suis né ! Les années 1950 sont celles de toute mon enfance. J’aime beaucoup l’esthétique de l’époque et, particulièrement, celle des avions et des voitures d’alors. Gamin, j’avais un oncle dans l’Armée de l’Air et un autre qui était steward dans l’aviation civile. Comme dans la chanson de Bécaud, j’allais souvent à Orly voir les avions s’envoler. Je trouvais ça fascinant.
La mise en images d’un tel scénario doit exiger une abondante documentation...
Oui, en effet. Ici, je devais dessiner un avion bien particulier, puisqu’il s’agit d’un Messerschmitt transformé. Yann m’a fourni une documentation considérable. Je disposais en outre de maquettes que j’avais achetées il y a longtemps, simplement parce qu’elles me plaisaient. De toute manière, on trouve beaucoup de documents sur l’armée allemande. C’en est même un peu effrayant... Si l’album a pour titre Mezek, le nom d’un type d’appareil, il retrace surtout l’histoire de Björn et de ses camarades. Cela dit, j’ai pris un grand plaisir à dessiner ces avions. Il y a aussi quelques motos…Mais, les motos, c’est trop compliqué pour moi : trop de détails auxquels je ne comprends rien. J’ai essayé de faire ça le plus sérieusement possible, avec un peu de noir par-ci par-là comme cache-misère.
En revanche, on sent que vous vous êtes fait plaisir sur tous les corps nus qui vous permettent d’exprimer votre talent pour le réalisme classique. D’où vous vient cette attirance ?
J’ai commencé le dessin en prenant pour modèles des statues de sculpteurs grecs représentées dans mon livre d’Histoire de 6e. J’étais fasciné par la perfection formelle de ces corps. Mon entêtement à les reproduire a fait le dessinateur académique que je suis devenu. Dans le même temps, je lisais le journal Tintin, véritable conservatoire de la « ligne claire ». Plus tard, j’ai découvert Blueberry de Giraud qui incarnait la bande dessinée réaliste à laquelle, j’aspirais. Ne voulant pas devenir un sous-Giraud, j’ai dès lors mijoté un mélange personnel, un réalisme plus poussé que celui d’Hergé et Jacobs, mais plus simple que celui de Giraud.
Francescu Maria Antona