La variante la plus intime de la musique funèbre que le romantisme a cultivée avec presque une certaine obsession (voyez Berlioz, Liszt, Chopin…) est l’élégie. Tristesse et nostalgie la caractérisent naturellement et révèlent des sentiments personnels, des souvenirs probants. On s’en assurera si l’on aime la musique de chambre, à l’écoute d’un remarquable album que le label Harmonia Mundi a récemment édité et qui renferme des œuvres dues à Liszt et Smetana. Plus précisément, il s’agit de six pièces de Liszt et le trio très émouvant que Smetana composa après la disparition de sa première fille Bedriska âgée seulement de quatre ans et demi (1).
La première élégie de Liszt relève de caractéristiques proches du trio de Smetana : forme rhapsodique des épisodes qui se regroupent autour d’un thème récurent (2). Cette musique du souvenir devient de plus en plus passionnée avec la répétition de fragments brefs (JanWolfrum). La deuxième élégie, moins sombre s’achève sur une note calme et éthérée. « La lugubre gondole », pièce bien connue dans sa version pour piano, ici transcrite pour trio, fut écrite sous l’impression du déclin physique de Wagner, souvent jouée dans sa version pour piano, elle aussi : « La vallée d’Obernann. », intitulée ici « Tristia ». Elle fait allusion à Berlioz et à son recueil du même titre. Le texte du lied « Zelle in Nonnen Werth » est nourri des sentiments de Liszt peu avant sa rupture d’avec Marie d’Agoult. Quant à « La Romance oubliée », elle est comme une ombre, le souvenir élégiaque cédant à l’oubli.
Le Trio de Smetana, achevé après deux mois d’intense travail recèle l’obsession du deuil qui se reflète dans la structure inhabituelle de l’œuvre. Personnalité essentielle de la musique du XIXème siècle, Liszt s’affirma dans l’élargissement des cadres formels et dans l’évolution du langage harmonique. Son influence sera grande sur l’évolution du langage de nombreux compositeurs du XXe siècle.
Smetana (1824-1884), grand compositeur tchèque, comme on sait, s’exprime dans un langage spécifiquement national. Il se révèlera aussi comme un hardi novateur dans le domaine harmonique.
Voilà une réalisation tant soit peu délicate. Mais quelle prestation que celle du trio Wanderer ! Et quel profond contenu que celui de ce CD !
Vincent Azamberti
(1) Harmonia Mundi HMC 902060
(2) Rhapsodie : pièce instrumentale de style et de forme libres, assez proche de l’improvisation