Il est advenu déjà que soit précisé ici ce que nous devons appeler le Bel canto. Encore faut-il le préciser. Communément, on entend parler de Bel canto comme n’importe quel genre d’opéra. C’est une erreur. Le Bel canto désigne en fait un style de chant libre de tout souci de réalisme dramatique et de vraisemblance en rapport avec la situation, le caractère et le sexe du personnage, tendant plutôt à une abstraction purement musicale. Il marqua le mélodrame italien et italianisant jusqu’à Rossini, Bellini et Donizetti. On le trouve encore, quoique modérément chez le premier Verdi. La Tosca ou Carmen ne sont pas du Bel canto. Celui ci débuta à partir d’une idée de Giulio Caccini (1550-1618), compositeur Italien qui vécut principalement à la cour des Médicis à Florence. Son projet était le suivant : fournir au chant des ornements tels que le trille, l’acciaccatura, l’appogiatura, l’arpègement, etc…(1). Il appartint à Rossini de sanctionner les chanteurs qui peu à peu n’en firent qu’à leur guise. On prendra comme exemple un ouvrage du maître, intitulé « Il signor Bruschino », interprété par un groupe d’artistes de talent qu’accompagnent I Virtuosi Italiani, dirigés par Claudio Desderi (2). Selon la légende, le compositeur aurait écrit la pire musique qui soit pour se venger d’échecs précédents. En fait, elle n’est ni pire ni meilleure que bien d’autres œuvres de Rossini. Ce ne fut pas une réussite immédiate et l’ouvrage ne fut repris qu’en 1844 à Milan, puis à Paris en 1857. C’est le quatrième opéra bouffe de Rossini qui écrivit des opéras « seri » de qualité comme « Semiramide », « Tencredi », « Moïse en Égypte », etc… « Il signor Bruschino », au départ, était une petite pièce où l’absurde régnait en maître, mais Rossini la transforma en une « folle journée » réjouissante. Au milieu de l’œuvre, le joyau de la partition offre un trio « insensé » dans une situation à la fois psychologiquement plausible. La muse de Rossini s’y déchaîne. Notons que Claudio Desderi, à la baguette, s’est produit aux Festivals d’Edinbourgh, de Salzbourg, de Glyndebourne, de Pesaro, à la Scala, etc… Les chanteurs solistes sont nombreux. Citons Alessandro Codeluppi, élève de Carlo Bergonzi, Maurizio Leoni, baryton, aux références sûres, Elena Rossi, etc…Ils se sont tous produits dans plusieurs grandes scènes. A l’extraordinaire fraîcheur de Rossini s’ajoute une rigueur peu commune à l’époque. Abondent les passages concertants et les hardiesses vocales contrôlées par le compositeur. Il héritait de la tradition du XVIIIe siècle la conception d’un haut artisanat. Une rare introspection de l’âme humaine donne à ses opéras le souffle universel que les exemples précédents du genre avaient essayé d’atteindre. On ne peut que se demander comment certains critiques, et parfois des meilleurs, comme Antoine Goléa, peu de temps encore avant sa disparition, ont pu considérer de haut ce que Rossini nous a laissé. Gare à l’intellectualisme prétentieux et froid. La critique française s’en est gorgée plus souvent qu’à son tour. Rossini avait du génie. C’est tout. Et c’est déterminant.
Vincent Azamberti
(1) Le trille consiste en la répétition rapide d’une note avec la note supérieure, l’acciacatura en la rapide exécution d’une ou plusieurs notes accessoires, l’appogiature en la mise en relief d’un son à partir d’un autre son qui le précède, l’arpègement en l’exécution successive de chaque note d’un accord.
(2) Naxos 8.660 128