Dans le ronronnement de la rentrée littéraire l’inattendu, le subversif, le prémonitoire viennent d’une parole tue aux hommes depuis près d’un siècle mais dont l’écho vibre encore avec une impressionnante puissance. On doit ce devoir de mémoire à la nouvelle édition de A Cispra Antologìa annuale parue aux éditions Piazzola et superbement commentée par le descendant d’un de ses fondateurs, François Paoli, qui a mis au service d’une reconstitution historique et littéraire beaucoup de finesse d’âme, de cœur et d’érudition. Etonnants parcours que ceux des deux co-auteurs d’une revue bilingue (en corse et en français) jamais rééditée et donc quasi mythique A Cispra. Tous deux sont en apparence de fins lettrés, de très sérieux instituteurs formés à l’Ecole Normale d’Ajaccio, ayant la double passion de l’écriture et de cette inlassable Muse qu’est leur terre natale.C’est à ce tandem inspiré, rebelle, passionné que l’on doit cette œuvre intellectuelle et politique à la fois qui, pour la première fois, exprime une revendication autonomiste en la concrétisant par son expression la plus haute et la plus pure : la création poétique.
L’espérance et le combat sont au cœur d’une poétique militante. La préface résonne avec une lucidité désespérée qui n’a pas, hélas, perdu de son actualité ; le constat est terriblement décapant. « Notre vie politique ? Nulle idée, nul programme, nulle fin générale et haute ; on se dispute les fonctions à coup de menaces, d’argent, d’abus de pouvoir, les élus n’ont qu’une ambition : extorquer des nominations, des rubans, des secours. » Un credo en découle : l’autonomie. « Il faut demander la reconnaissance de la Nation Corse. » Les années à venir diront si c’était là chimère poétique ou prophétie inspirée.
M-L.F.
A Cispra Antologìa Annuale. Marzu 1914. Fundatori X. Paoli e J-T Versini. Nouvelle édition critique. Alain Piazzola ed. 155 pages. 15 euro.