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L’invité Jérome Ruillier

jeudi 26 avril 2012, par Journal de la Corse

D’où vient votre intérêt pour la question de l’immigration maghrébine ?

J’avais lu le livre de Yamina Benguigui sur ce sujet. Il m’avait touché car il reposait sur des témoignages croisés. Je l’avais donc gardé en mémoire et lors des élections de 2007 j’ai ressenti un déclic me poussant à m’emparer de ce thème. Durant cette campagne présidentielle j’entendais des propos, des discours si incroyables assénés de façon si naturelle contre les immigrés que ça devenait insupportable. Je devais réagir. Ma colère était d’autant plus grande que lutter pour faire accepter sa différence je sais ce que sais puisque j’ai un enfant trisomique. Il fallait que je réponde à ce que j’entendais mais j’en étais incapable...

Vous sous sentiez impliqué en tant qu’homme et en tant que père ?

Je devais trouver une réponse personnelle. C’est là que je me suis souvenu du livre de Yamina. J’ai voulu l’adapter et j’ai entamé une longue réflexion. De la première ligne de l’ouvrage de Yamina Benguigui à la dernière, l’adaptation des « Mohamed » m’a pris trois ans.

Le but premier de cet album ?

Faire connaitre cette histoire méconnue de l’immigration. Ne pas verser dans le schéma simpliste du « pour » et du « contre ». Aider à faire saisir la complexité de la situation puisque ces travailleurs maghrébins on est allé les chercher sur place, même en pleine guerre d’Algérie. Mon souhait ? Que des gens qui votent FN se disent : « c’est pas si simple »…

Dans « Les Mohamed » le découpage entre histoire des pères, histoire des mères, histoire des enfants de cette immigration des décennies 60 et 70 était-il une évidence ?

Il est significatif et reflète une réalité. Les pères arrivent, en gros, au même moment. Les mères les rejoignent à partir de la mise en place du dispositif du regroupement familial en 1974. Les enfants, eux, rencontrent des problèmes particuliers.

Vos personnages ont des têtes d’ours. Pourquoi ?

A la naissance de ma fille trisomique j’ai dessiné « Cœur-enclume ». Avant la publication de cet album je me suis rendu compte qu’il fallait recourir à un filtre protecteur. Pour obtenir un décalage qui fonctionne comme un code j’ai substitué des têtes d’ours aux visages humains. Pour « les Mohamed » j’ai repris ce principe avec un dessin plus réaliste pour les silhouettes, pour les costumes, pour les décors.

Pour quelle raison l’auteur que vous êtes se met-il en scène dans « Les Mohamed » ?

Ces interventions très subjectives sont venues d’elles-mêmes et je les ai laissées ! Sans doute une manière de montrer que je me sens concerné personnellement même si l’histoire de l’immigration n’est pas la mienne... Sauf... que mon père a fait la guerre d’Algérie !

L’intégration est l’une de vos préoccupations majeures ?

Notre fille trisomique nous rappelle au quotidien les difficultés d’intégration. A Voiron, où l’on habite, la seule classe où notre enfant pouvait être accueillie, regroupait beaucoup de petits immigrés et des handicapés. Sa différence n’a pas posé de problème. Une vraie joie !

« Les Mohamed » auront-ils une suite ?

Je vois deux directions possibles. L’actualité a mis en lumière la situation des sans papiers. Or, à Voiron, nous avons eu des cas très douloureux et très médiatiques à ce sujet, et des enquêtes sur ces affaires peuvent déboucher sur une bande dessinée. Par ailleurs, j’aimerais poursuivre la collecte de témoignages d’immigrés maghrébins âgés, voilà une autre option.

Auteur d’albums jeunesse, créateur de BD. Le travail est-il identique ?

Une BD demande plus de temps pour sa réalisation. Pour les très jeunes je mise sur des formes plus légères et j’utilise beaucoup les symboles.

Propos recueillis par M.A-P

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