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L’AMANT DES MUSES

jeudi 8 mars 2012, par Journal de la Corse

Crise financière et monétaire européenne gravissime aux perspectives spectrales. Dans le discours ambiant des commentaires, les chaos anciens resurgissent au gré des rappels historiques. Parmi ceux-ci la danse macabre du Directoire avec son inflation, ses assignats et son cataclysme économique et social.

Le coup d’Etat du 18 brumaire y mit fin. On sait que le général Bonaparte avait vasouillé devant les parlementaires. La situation fut rattrapée in extremis par l’éloquence, l’habileté et le courage de son frère Lucien. Ce Bonaparte était un révolutionnaire et un clubiste, davantage un opposant qu’un rassembleur. Homme d’action plus que diplomate disposé aux compromis. Il ne tarda pas à s’opposer au Premier Consul puis à l’empereur. La rupture définitive entre les deux frères intervint lorsque Lucien refusa de se séparer de sa seconde femme qu’il adorait, une belle tragédienne du nom d’Alexandrine de Bleschamp. Napoléon, devenu empereur, l’exigeait pour régler la question de son hérédité. Le refus de Lucien entraîna sa radiation de la liste des successibles. Après cela les rapports entre les deux frères ne furent qu’une suite de querelles et de brouilles. A Sainte Hélène, dictant son Mémorial, l’empereur déclara : « Lucien, pour tout pays serait l’ornement d’une assemblée politique. » Ce fut pourtant la politique qui entraîna sa mise à l’écart du règne. Un effacement définitif dans la biographie de Lucien. La cause première en fut précisément un libelle sur le problème de l’hérédité. Brochure anonyme imprimée en 1800 au ministère de l’intérieur dont Lucien était le patron. Il ne faisait pas de doute que celui-ci en était aussi l’auteur. Sous le titre « Parallèle entre César, Cromwell, Monck et Bonaparte ». Elle mit le feu aux poudres en suscitant les réactions hostiles des généraux. Lucien y déclarait en effet « qu’en l’absence de dispositions constitutionnelles successorales, la France tomberait sous le joug des militaires. » Ce fut bien qu’anonyme, la première manifestation de Lucien comme un homme de plume, et de sa propension à l’écriture. Il était déjà taquiné par la littérature et avait entrepris la rédaction d’une pièce de théâtre ayant pour titre la « Césareide ».Son éloignement de la politique et des Lois le transforma en un adepte des Lettres, des Arts et des Sciences. Miot (bien connu en Corse par ses arrêtés fiscaux d’exonération) avait rendu visite à Lucien au cours d’un voyage en Italie. Celui-ci, indique-t-il « n’avait soufflé mot d’autre chose que d’art et de littérature. » Il mettra sept ans à rédiger son œuvre maîtresse « Charlemagne ou l’Eglise délivrée » une épopée en vers. Il composera aussi un autre poème épique « La Cyrneide, ou la Corse délivrée des Maures » qui sera publié en 1815. Il écrira un roman, plutôt médiocre « Stellina ou la tribu indienne » et une tragédie « Clotaire ». Sur une colline de sa principauté de Canino, près de Rome, il avait créé une sorte de Mont Parnasse dédié à Apollon et ses Neuf Muses. Les bustes d’Homère, de Virgile, du Tasse et du Camöens, ses auteurs préférés, y furent placés. Parallèlement il se consacrait à l’art étrusque et à des fouilles dans sa région. Réputé pour la sûreté de son goût, Lucien Bonaparte était aussi un collectionneur de tableaux de différentes écoles, française, italienne, hollandaise, espagnole et allemande, comptant bon nombre de grands maîtres, Poussin, Rubens, Vinci, Guida, Raphaël et même David. Ingres avait fait son portrait, ainsi que Fabre. Lorsqu’il s’embarqua pour l’Amérique, il mit en gage une partie de sa collection et songea à garer le reste en Corse chez le général Fiorella qui s’y était offert. Il n’emportait avec lui, sur le navire « Hercules », que deux tableautins de Raphaël : « Le sommeil de Jésus » et la « Madone aux candélabres ». Son bateau fut arraisonné par un bâtiment de guerre anglais au large de Cagliari. Lucien fut assigné à résidence à Thorngrove en Angleterre. Il y resta jusqu’en 1814. Il s’y adonnera à l’astronomie. Retiré par la suite en Italie il mourut à Viterbe en1840. Ainsi finit ce Bonaparte amant des Arts.

Marc’Aureliu Pietrasanta

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