L’abandon à la musique
Fête de la musique. Bien implantée en ces dernières décennies à travers le monde entier. Le thème de cette année était plus prticulièrement « La Voix ».
Facilitée par les hauts-parleurs et souvent abîmée par eux. Marquée également par la « techno » et débouchant parfois sur des orgies de décibels. Peu importe. La liaison d’une journée et d’une nuit, musique et fête est un succès. En Corse comme partout ailleurs. Musique populaire et musique savante sans distinction. La Voix donc « The Voice » a caractérisé au long des siècles la musique populaire corse. Avec ou sans accompagnement, chants de toute sorte bien connus : « Nanne » ou berceuses, sérénades, chants nuptiaux, chansons politiques, chants de guerre, chants de travail (des moissonneurs, des bergers, des bateliers, des pêcheurs, de la cueillette des olives ou des châtaignes) chant de la vendetta, chants funèbres et même danses « a zilimbrina ». A quoi vient s’ajouter plus typiquement encore la « paghjella » à la fois profane et religieuse. Celle-ci (longtemps réservée aux hommes) comme les déplorations étaient réservées aux pleureuses. Ces deux dernières formes musicales ont été considérées comme les plus identitaires par les visiteurs de l’île. Un de ceux-ci, Jean Lorrain, écrivain réputé, en fut profondément impressionné lorsqu’il parcourut la Corse en 1905. « Les guitares - disait-il- grincent et se plaignent, les voix se lamentent, gutturales et profondes. Le « vocero » est l’âme même de la vendetta, c’est la voix des « voceratrices » qui souffle la passion du sang dans le coeur des hommes… Le foyer et le meurtre, la vengeance et l’amour… » Aujourd’hui les voceratrices se sont tues et la violence a pris d’autres formes. Reste surtout la « Paghiella » pour la fête de la musique. Une chose est certaine, celle-ci a marqué la musique corse de son empreinte, à la fois religieuse et profane. Elle accompagnait la messe dans toutes les églises de l’île. Chaque groupe de chantres d’une paroisse avait la version ( U versu). Elle était aussi pratiquée pour des chansons profanes dans certaines « pievi » de Corse. Elle pouvait être alors une sérénade ou une satire ou avoir un tout autre thème. Ce chant polyphonique était à trois voix d’hommes en Corse et il s’est maintenu jusqu’à nos jours. A-t-il été d’abord religieux avant d’être profane ou vice-versa ? Difficile à dire. A l’origine, son nom l’indique, la paghjella c’était la petite paire. C’est-à-dire qu’à la voix principale empruntée s’ajoute une autre voix inventée. Cette réalisation fut dite « double ». C’était la répétition de phrase par paires. Cette forme initiale de la polyphonie est apparue au Moyen Âge entre le Xe et le XIIe siècles. Elle s’est perfectionnée dés le XIVe siècle en passant à trois voix puis à quatre et plus. En France elle prit le nom d’ « ars nova ». Elle renouvelait le langage musical du chant « Grégorien » caractérisé, lui, par l’uniformité du rythme et par son calme. La musique grégorienne avait reçu le nom de « plain chant ». C’est-à-dire de musique plane. La polyphonie, avec ses vocalises et sa virtuosité se répandit dans toute l’Europe. C’était une musique ecclésiastique savante. Ses auteurs novateurs furent Philippe de Vitry, évêque de Meaux et Guillaume de Machaut, chanoine de la cathédrale de Reims. La liberté de la polyphonie allait rapidement l’affranchir des contraintes de l’art liturgique et aboutir à des compositions musicales séculières. Cette polyphonie franco-flamande au départ, se répandit très vite en Europe. Ce n’est pourtant, vers 1300, qu’à la cathédrale de Padoue, sont exécutées des polyphonies écrites fort simples où les deux voix évoluent en mouvement parallèle (nous retrouvons ici la « paire »). Nous sommes bien loin des préoccupations savantes des compositeurs parisiens. C’est sans doute avec la troisième voix qu’elle se répandit en Corse dans le répertoire populaire ancien lorsque le XIVe siècle italien se caractérisa par « l’abandon à la musique », qui fut le sien. Marc’Aureliu Pietrasanta