Jean Desmier au Centre Culturel « Una Volta » à l’initiative des éditions Éoliennes. Une exposition au raffinement de noirs. A l’éblouissement de blancs.
Des dessins d’une apparente simplicité enfantine. Des dessins en noir et blanc. Des dessins sans fard. Sans trompe l’œil. Sans perspective. Des dessins captations d’éphémères. Instantanés jamais répétés de variations-variétés. Jean Desmier joue et se joue des noirs, des blancs et de toute la gamme des gris qui peut survenir entre blanc et noir. Une vraie sobriété allée à une singulière sophistication. L’enfance de l’art, pourrait-on soupirer en observant les œuvres de Desmier ! Si ce n’est que derrière les apparences surgit et s’impose une réflexion sur le réel. Sur une manière de voir au quotidien bien moins évidente que de prime abord. Grâce au dépouillement du traitement, une quête de l’essentiel… Grâce à l’épure d’une représentation le signe en exergue, signe marqueur de vide entre ombre et lumière. Le rythme trouvé du noir au blanc, du blanc au noir pour conter des « portraits-bouquets », pour suggérer ces « fleurs du mal » du poète ou pour esquisser des bateaux volant dans le ciel d’un port ou encore pour prédire leur subit ensevelissement dans des terres semblables à des flots. Dans ses dessins, dans ses gravures, dans ses monotypes Jean Desmier reconnait une certaine théâtralité voguant entre l’intime et l’immensité, entre le proche et le lointain. Conjugaison de paradoxes. « Ce qui est important n’est pas ce qu’on représente mais comment on le représente », cette remarque éclaire toute le démarche de l’artiste qui sait avec subtilité manier des noirs intenses et profonds, et des blancs éclatants et luxuriants. Le dessin chez Desmier se fait langue universelle. Compréhensible par tous. Accessible par tous. L’élégance et la noblesse même des œuvres sont pour beaucoup dans cette réussite. Bonne, cette idée de Xavier Dandoy de Casabianca – à l’occasion du 20ème anniversaire de sa maison d’édition – de proposer un aperçu des réalisations d’un plasticien au propos original qui donne à regarder un univers très personnel.
Michèle Acquaviva-Pache
« Je veux m’approcher d’une vision sensorielle qui est plus vaste qu’un rangement du près au loin voulu par la perspective. »
Jean Desmier
Le noir… Le blanc… Pourquoi est-ce là les couleurs essentielles ? Les seuls que vous pratiquer ?
Dans le blanc et le noir il y a toutes les couleurs. Ce sont des outils fondamentaux. Les moyens les plus extrêmes d’enclencher la lumière.
Le blanc… Le noir… Pourquoi exclure les autres couleurs ?
Les couleurs me procuraient une sensation d’artifice, et quand je suis passé de la peinture au dessin j’ai senti que ma relation – ça peut sembler paradoxal – à la couleur passait par le noir et blanc.
Pourquoi votre abandon systématique de la perspective ?
Enseignant dans une école d’architecture j’étais choqué de voir combien les étudiants dépendaient du système de représentation découlant de la perspective. Combien ils étaient passifs devant ce qui n’était qu’un moyen de représenter les choses. Combien on peut confondre vision en perspective et vision humaine. Moi, je veux m’approcher d’une vision sensorielle qui est plus vaste qu’un rangement du près au loin voulu par la perspective. Au départ celle-ci appartenait à une pensée. Maintenant elle ne relève que du schéma.
Les formes qui vous inspirent ?
Plutôt que de formes je parlerais de relation, de ce qui se passe entre une forme et une autre. Le vide m’intéresse plus que la forme. Le dessin est mis en relation et chaque chose est actrice dans l’espace. C’est pourquoi je parle de théâtralité.
Entre le noir et le blanc il y a le gris, avec toute sa gamme de nuances ?
Surfaces de noir et surfaces de blancs peuvent soit se confronter directement, soit par le biais de médiations qu’on trouve dans le gris.
Les volumes, aussi, sont importants ?
Ce qui importe c’est la façon dont les choses se mettent à distance et dont elles vont se mettre en profondeur. Le noir, en effet, ne doit jamais être plaqué… Il faut toujours que chez moi il provoque la sensation que je vais m’enfonces dans une profondeur.
Peut-on parler de sujets dans vos œuvres ?
Si sujets il y a, ils touchent à la relation. Pendant longtemps je me suis intéressé à un contexte érotique en dessinant des couples, des personnages, car j’étais plus figuratif alors. Puis, plus j’ai avancé dans mon travail plus le sujet s’est transformé en situation et désormais chaque dessin est une mise en scène.
Comment travaillez-vous ? A quel rythme ?
Avec lenteur… Comme la lumière doit monter lentement, les blancs doivent pouvoir résister sur mon papier. Souvent c’est la relation du gris et du blanc qui détermine la forme du dessin. Mais lorsque je fais des monotypes cela m’oblige par contre à aller très vite à cause de l’impression, d’où un côté instantané.
Comment vous définissez-vous ?
Je suis un peintre dessinant. La formule est de ma femme !
Que vous apporte le regard du public ?
Il m’aide… En communiquant sur mon travail, en l’expliquant j’ai pris conscience que le sujet n’est qu’une porte d’entrée du dessin et non une finalité.
L’étape clé de votre parcours artistique ?
1978, quand j’ai su que la couleur était toute dans le noir et blanc. La période présente aussi où je recherche l’essentiel sans passer par la description.
(Propos recueillis par M.A-P)