« L’Afrique doit, elle aussi, remettre la culture au centre car c’est un secteur créateur de développement et d’emplois. » Michel Ouédraogo
Délégué général du Fespaco Délégué général du Fespaco depuis 2008 Michel Ouédraogo est aux commandes du plus prestigieux festival de cinéma en Afrique. Une manifestation phare qui est la référence en la matière.
Du Fespaco on dit qu’il a gagné ses lettres de noblesse dans la douleur, la ténacité, l’adversité. Pouvez-vous illustrer ce propos ?
Dans la douleur parce qu’il est né dans le contexte des indépendances africaines à un moment où l’accent était mis sur l’agriculture, l’industrie, la santé, l’éducation, la défense pour assurer la stabilité des états. La culture, alors, était loin d’être une priorité et le cinéma encore moins … Dans l’adversité parce qu’au début il était mal vu de nous aider. Ainsi le directeur du Centre culturel français de Ouaga a été muté pour nous avoir soutenu. Lancé en 1969 le Fespaco s’est interrompu jusqu’en 1972 faute de moyens financiers du secteur privé. On a dû attendre que l’état prenne le relai ce qu’il a fait depuis cette date régulièrement … Dans la ténacité parce qu’il a fallu tenir bon face aux jalousies, face à ceux qui, ailleurs, voulaient récupérer le label Fespaco. Ce festival représente beaucoup pour le Burkina Faso, et nous ne devons jamais oublier que chaque pays participant doit avoir sa parcelle de visibilité.
A contrario les périodes particulièrement gratifiantes ?
A partir de 1983, date de la révolution(1) le pouvoir politique a compris vraiment ce que le Fespaco représentait. Il a eu alors à notre égard une attention soutenue, aidant à l’organisation de la manifestation sans jamais intervenir dans nos choix de films sélectionnés.
Comment s’est fait la rencontre du cinéma et du Burkina Faso ?
Par les Pères Blancs qui ont utilisé le cinéma dans leur travail missionnaire et pour leur endoctrinement religieux !
Mais pourquoi cet enracinement du 7ème art dans votre pays précisément ?
Lors des luttes pour l’indépendance syndicats et partis politiques ont montré leur dynamisme. Ils ont manifesté leur volonté d’user de la liberté de parole, et témoigner d’indépendance d’esprit. Ce climat propice à la réflexion a favorisé la création du Fespaco. Elle a également été facilitée par l’existence, au Burkina, de nombreux ciné-clubs.
Le Fespaco, c’est tous les deux ans un événement. C’est aussi une institution qui fonctionne en permanence. Combien d’emplois ?A quels postes ?
Notre effectif est de quarante personnes dont une quinzaine de cadres. Nous avons entre autres du personnel technique : des projectionnistes qui vont dans les ciné-clubs et les villages. En ce moment nous terminons de rénover la cinémathèque endommagée par les inondations de l’an dernier.
Cette année le thème retenu pour le colloque de deux jours du Fespaco était « Cinéma africain et marchés ». Que retenir des débats ?
D’abord ils ont été intelligents, constructifs, productifs. La lumière a été braquée sur le rôle des professionnels, sur celui du secteur bancaire qui doit faciliter les investissements dans la production cinématographique, sur celui des institutions africaines qui doivent avoir à cœur que le cinéma africain soit vu et donc distribué en Afrique.
Priorités de l’heure ?
Production, réalisation, distribution tout est prioritaire ! Si l’Afrique veut exister dans le concert des nations elle ne peut pas faire l’impasse de l’image.
Comment surmonter le dilemme auquel les cinéastes africains sont souvent confrontés : liberté totale de création mais manque de moyens à la clé ou aides financières, en particulier de l’extérieur, mais risques de formatage ?
Difficile … Aux réalisateurs de pousser le plus loin possible la réflexion d’autant que les donateurs, comme les institutions européennes, ont mûri ! En tous cas aujourd’hui on ne peut se contenter de faire des films « low cost ». Il faut absolument des moyens tout en en ayant en tête que la qualité d’un film n’est pas qu’affaire d’argent, et que le talent du cinéaste est primordial.
Cinéma, audiovisuel de vrais paris d’avenir pour l’Afrique ?
Des pays forts économiquement, tels de Japon ou l’Inde, se sont développés à partir de leur culture. L’Afrique doit, elle aussi, remettre la culture au centre car c’est un secteur créateur de développement et d’emplois.
Propos recueillis par M.A-P
(1) Révolution impulsée par Thomas Sankara, à la tête du Burkina Faso de 1983 à 1987.