« Face au néant reste le poème ! L’écriture ! » Marie-Jean Vinciguerra
Poésie, roman, théâtre, essai, l’auteur que vous êtes a exploré tous ces espaces littéraires. Mais quel est votre genre premier ?
La poésie. Elle s’est imposée … Le rôle du poète n’est pas de céder à l’inspiration mais de transcrire, de raturer, de toujours effacer les traces du travail par le travail. Quant au théâtre, forme de l’expression du double, je l’ai toujours aimé.
Dans « Bastion sous le vent » vous parlez de « conquête d’une expression propre ». Qu’entendez-vous ?
De la conquête d’un style différent de celui de la mère, de celui de l’école de la République, de celui des temps. Ce récit onirique c’est également deux siècles d’histoire, de ces moments où la Corse bascule dans la culture française. Ce n’est pas une fabrication, c’est un itinéraire pour réinventer une enfance en révolte contre la mère, contre sa personnalité, contre sa manière d’écrire qu’elle voulait que je fasse mienne. Cette mère, je la tue … bien que je l’épouse ! « Bastion sous le vent » ce n’est pas seulement Bastia et la conquête de soi, c’est le temple intérieur.
Les étapes scandant ce récit ?
Au commencement un poème emblématique que je vais immédiatement condamner avec rage, avec une violence significative de mon parcours. Puis la rencontre avec l’Intrus – le psychanalyste – qui se solde par un échec, suivie de la découverte de la parole philosophique, mais elle ne fait qu’aviver ma blessure. Ensuite c’est le contact avec l’Italie et auquel succède la découverte de l’absolu par la peinture. Finalement c’est la réconciliation de soi par la poésie.
Ce texte vibre comme un testament ?
Par son panthéisme poétique il a valeur testamentaire. Face au néant reste le poème ! L’écriture !
Vous dites faire une réinvention de votre enfance. Mais les souvenirs, au tamis de la mémoire, ne sont-ils pas en majeure partie réinventés ?
Longtemps ma mère m’a imposé ses propres souvenirs m’empêchant ainsi de posséder les miens. Quand j’ai pu avoir mon histoire à moi, j’ai pu raconter avec mes mots à moi ! A partir de là j’ai pu réinventer mon enfance. Cette réinvention passe par des fables, des rêves, des cauchemars, de l’humour …
Des mots reviennent sans cesse sous votre plume comme silence, vent, îles, ange, rêve. Autant de repères ?
Le silence, parce que tout commence et tout finit dans le silence ; entre début et fin il n’y a qu’un intermède. Le vent, parce qu’à Bastia il arrive de toutes les directions, parce qu’il m’arrache les mots, parce qu’il est symbole des vicissitudes de l’existence. Iles, parce que tantôt elles gardent l’horizon et tantôt elles sont arches d’un pont vers la Toscane. Ange, parce qu’il est le messager par excellence, celui par lequel vient l’inspiration. Rêve … La vie n’est-elle pas rêvée !
Quelle part occupe chez vous le mysticisme ?
Ce texte se réfère à la spiritualité franciscaine. Pour François d’Assise tout a été donné à l’homme, qui n’a en propre que sa souffrance. A cette souffrance je donne un sens par l’écriture et au terme il y a une assomption.
Au-delà de Bastia, de la citadelle, à quoi renvoie ce récit onirique ?
A la cité idéale, à l’état d’absolu qui aboutit à une négation du temps par le silence et l’éternité.
Sans cette mère dominatrice que vous évoquez, auriez-vous été ce que vous êtes ?
Non ! C’est pourquoi elle est réhabilitée. C’est elle qui m’a initié à la poésie, qui m’a fait sentir les choses, qui m’a ouvert les chemins de l’écriture … Marie Jean était le nom d’écrivain qu’elle s’était choisi.
Je et/est Antoine. Pourquoi ce dédoublement ?
Je c’est le narrateur qui explose en une multiplicité de soi. Je deviens il, ou Antoine, ou Marie, ou Gabriel. Je est en nous, avec la mère.
Propos recueillis par M.A-P