« Les Corses ont un amour fou de leur culture … et souvent se contrefichent du patrimoine qu’on leur a laissé en héritage. »
Antoine Périgot
Ce livre, « Opera Umana », comment le définissez-vous ?
Comme un voyage imaginaire. Comme un road movies. Et pour aller au bout du rêve le regard doit se mettre en situation de lecture. Ce livre se devait aussi de faire un tour de Corse et de proposer une vue d’ensemble de l’île pour montrer qu’ici, signe d’une mentalité paysanne, on estime autant un beau mur de pierre qu’un illustre monument parce qu’on aura connu celui qui l’a érigé.
Les vieilles pierres ne suscitent-elles pas un infini respect tout en s’accommodant d’un laisser aller ?
On est schizophrènes. Les Corses ont un amour fou pour leur culture … et souvent se contrefichent du patrimoine qu’on leur a laissé en héritage. Cette dichotomie, j’ai du mal à l’expliquer et le livre devait l’évoquer.
Ce voyage imaginaire dont vous parlez quelles en sont les étapes ?
En fait, tout se passe comme si le sujet était devant moi et qu’il ne me reste plus qu’à le révéler. Alors je suis la carte de l’île au gré des lumières et des saisons, et les photos se rassemblent par matière, par forme, par couleur.
Dans « Corsica muntagna » vous vous intéressiez à la montagne. Ici, vous vous arrêtez sur le bâti. Votre approche est-elle différente dans l’un et l’autre cas ?
En montagne le challenge est sportif, parfois hasardeux même puisque je pars seul. Pour photographier le bâti l’investissement physique est moindre puisque l’accessibilité est plus aisée.
Eglises, aires de battage, fontaines, moulins, etc… grande est la diversité du bâti patrimonial insulaire ?
Même dans des endroits comme Teghime on trouve de merveilleuses bergeries … Fréquemment ce patrimoine est méconnu, il en va ainsi de ces fantastiques grottes de Brando où les Bastiais du 19e siècle faisaient des excursions dominicales, et qui sont en train de crouler dans l’indifférence générale ! Pourtant c’est du vrai patrimoine. En ville, à Bastia par exemple, on ratiboise tout et l’on transforme la cité génoise en parc d’attractions sous la houlette de cabinets d’architectes. Au fond ces aménagements reflètent un manque de confiance de notre part !
Mais vous êtes Bastiais, pourquoi si peu de place accordée à votre ville ?
Il faudrait un ouvrage entièrement consacré au sujet ! Je ne le ferai pas car j’ai une blessure par rapport à Bastia et je trouve effarant la manière dont on fait évoluer cette ville : trois parkings sur le Vieux Port c’est dingue … et douloureux !
Quand êtes-vous satisfait d’une prise de vue ?
Pour « Opera Umana » les prises de vue sont classiques, basiques, sans contorsions techniques et le sujet tellement merveilleux qu’on ne peut avoir que de belles photos. Il faut bien sûr être attentif, avoir les sens en éveil, et j’ai pour moi vingt cinq ans d’expérience.
Dans votre ouvrage il n’y a pas que la beauté des images, leur mise en page est aussi déterminante. Comment pensez-vous la maquette ?
Lorsqu’on va au bout de la Corse, on a le temps de réfléchir à la maquette, si bien qu’au moment de la réalisation l’exercice me prend deux jours. Pour moi c’est facile.
Même rapidité pour les textes que vous avez écrits ?
J’y ai pensé en faisant les prises de vue. Il fallait que je reste arrimé aux pierres et que je ne me laisse pas emporter par mes phantasmes. Je ne devais pas masquer le sujet par trop de subjectivité, c’était une condition pour exprimer la magie de ce que je photographiais.
Caractéristique principale d’un livre d’art ?
C’est un livre bien fait que ce soit un recueil d’œuvres existantes ou une création en soi. J’espère donner à ma production la même rigueur, la même qualité que les grands libraires de Paris, Berlin ou Stockholm. La Corse le mérite.
Propos recueillis par M.A-P