Neige et froidure pour la 24e édition de la manifestation bastiaise consacrée au 7e art italien. Mais, toujours fidèle le public était au rendez-vous !
C’est en fait deux festivals en un que nous ont proposé René Viale et Jean Baptiste Croce, pères fondateurs de la manifestation. Deux festivals avec une séance de 19 heures projetant des films comiques attirant, quel que soit le sujet ou le ton, de nombreux spectateurs, et une séance de 21 heures 30 réservée à des œuvres plus exigeantes et par leurs thématiques et par leur esthétique. Bref, des films plutôt destinés à des cinéphiles, même si le terme fleure l’intellectualisme. Mais puisqu’on nous dit et redit qu’il en faut pour tous les goûts pourquoi zapper la qualité ?
Où est l’erreur ?
Le rire a donc été roi aux séances de 19 heures. De façon convaincante ? Tout dépendait de ce qu’on recherchait, de l’humeur du soir, des tracas de la journée. Parfois c’était dans la salle que ce déroulait le spectacle tant les réactions de l’un ou de l’autre pouvaient être opposées. Pourquoi telle dame s’esclaffait-elle en se tenant les côtes ? Pourquoi tel monsieur restait-il lui d’une extrême impassibilité devant des gags identiques ? Affaire de tempérament certes et sans doute du degré de compréhension de l’italien. Des idées savoureuses et drôles les réalisateurs de ces films de délassement en avaient. Bémol : tous n’allaient pas au bout de leur propos initial. « Figli delle stelle » de Lucio Pelligrini partant d’une erreur de personne lors de l’enlèvement d’un ministre aurait pu être d’un burlesque échevelé mais est resté trop sage et convenu. « Nessuno mi puo giudicare » contant les malheurs d’une bourgeoise que des revers de fortune vouent à la prostitution de luxe aurait pu donner une satire au vitriol d’une société où tout se vend et où tout s’achète mais s’est cantonné à un récit gentillet et anodin.
Rire berlusconien
« Genitori e figli » de Giovanni Veronesi axé sur les difficultés des rapports parents enfants s’est borné à un canevas plus apparenté au théâtre de boulevard qu’à la comédie inspirée. « Che bella giornata » de Gennaro Nunziante, s’annonçait comme un joyeux jeu de massacre de tous les poncifs en cours dans la banalité des jours. Hélas ! Il faut un talent incontestable et du brio dans la narration pour rendre hilarants les préparatifs d’un attentat terroriste. Mel Brooks ? Peut-être… Les Marx’ Brothers ? Sans doute … Sauf à confondre facilité et politiquement incorrect où à prendre la cathédrale de Milan pour le désert de Gobi ! Autre remarque : les films cités surfent avec complaisance sur un racisme ordinaire désormais de bon aloi et qui est symptomatique d’une période très berlusconienne.
Paternité surprise
D’une nature différente « Scialla » de Francesco Bruni dont pourtant l’argument n’est pas vraiment original mais qui est mené avec une maîtrise alliée à beaucoup de sensibilité et de tendresse. Pas de vulgarité dans cette histoire d’un homme qui découvre, quinze ans après, sa paternité et qui finit par établir une relation pleine de complicité avec son adolescent de fils. Prix du public « Immaturi » de Paolo Genovese met en scène un groupe de quadras qui refuse de mûrir. Une comédie alerte avec une équipe de bons interprètes, parsemée de moments doux-amers ou rigolos. Preuve qu’un cinéaste n’est pas obligé de sortir la grosse artillerie pour déclencher les rires. En remportant le prix du jury jeune et le prix du jury présidé par Yves Boisset « Tatanka » de Giuseppe Gagliardi, s’est taillé la part du lion dans le palmarès 2012. C’est un long métrage d’un jeune cinéaste qui a adapté une nouvelle de Saviano, auteur de « Gomorra ». Thème majeur : la violence. Celle de la boxe et celle de la camora. La boxe avec son esprit de dépassement de soi, de plénitude de l’individu opposée à l’organisation mafieuse qui est ravalement et négation de la personne. De ces deux violences le héros choisit celle qui implique discipline, rigueur, abnégation avec son parcours ardu, périlleux, et non celle qui rime avec fric et luxe. Un choix au risque d’être liquidé. Choix assumé avec panache. Leçon de vie.
De mémoire et d’oubli
On attendait avec curiosité le dernier opus de Pupi Avati, « Una sconfinata giovinezza » qui évoque la maladie d’Alzheimer. L’œuvre a le mérite de la délicatesse même si elle est peu pourvue d’imagination innovante au plan du style cinématographique avec ces flashes back récurrents trop stéréotypés. Atouts du film le jeu des acteurs, de Fabrizio Bentivoglio surtout et de Francesca Neri qui interprètent les rôles principaux. Belle maîtrise des scènes reposant sur les échanges entre la femme incarnant la force dans le couple et le mari que la maladie amenuise et qui va se perdre dans l’oubli de soi.
« Una vita tranquilla » de Claudio Cupellini nous a transportés en Allemagne, au cœur d’une forêt paisible que réchauffe l’auberge de Rosario, un Italien marié à une Allemande. L’endroit réputé pour sa cuisine identitaire est un havre chaleureux, hors d’atteinte des turbulences du monde. Mais c’est tabler sur un passé coriace qui resurgit en balayant sur son passage l’édifice d’une vie patiemment reconstruite. « Una vita tranquilla » devient alors un film noir d’une grande intensité, film servi avec brio par Toni Servillo, qui fait là une excellente performance.
Enfances en enfer
Débordant d’émotion et de rage « Ruggine » de Daniele Gaglianone traite des dégâts irrémédiables que la pédophilie cause à de jeunes victimes. Un film bouleversant qui donne la parole aux enfants que la société en sa surdité refuse d’entendre. Par sa problématique « Ruggine » a fait fuir le public bastiais. Dommage pour lui car l’écriture du film est subtile puisant des références à la fois dans le fantastique le plus sombre et chez Buñuel avec des incursions dans les univers picturaux du Caravage et de Murillo. Un film plaidoyer pour le respect de l’enfance. Une œuvre nécessaire. En compétition encore « Terraferma », superbe réalisation d’Emmanuele Crialese. Magnifique sujet. Splendides images. Impeccable distribution. Une île de pêcheurs dans la beauté âpre de la Méditerranée. Des flots de clandestins poussés par un rêve d’existence meilleure. Des flux de touristes attirés par les trois « S » (sea, sun, sand). Entre immigrés et vacanciers des natifs qui semblent tout droit débarqués de l’Odyssée. On les a éduqués dans le respect des lois de la mer voulant qu’on porte secours à ceux qui se noient. Et au nom d’un droit ponctuel, dicté par des exigences dénuées des valeurs humaines on veut les obliger à dénoncer aux autorités les rescapés, ceux que Neptune a épargnés ! « Terraferma », une tragédie contemporaine qui interpelle notre… civilisation, qui se veut incomparable !
Michèle Acquaviva-Pache