Ramener sa fraise, cette expression populaire Arte Mare l’a fait sienne le temps de la dernière édition de son festival, affiche à l’appui.Une fraise chapeautée d’un couvre-chef à la Charlot, clin d’œil affectueux au maître du grand écran, voilà qui était de bon augure et qui a tenu promesse avec la très belle sélection de la compétition mitonnée part Pierre de Gardebosc.Sept films en lice. Très différents. Très contemporains. En des ailleurs conjugués à des aujourd’hui nous parlant d’ici et de maintenant. Comme quoi l’universel est cette drôle de chose échappant aux recettes standard, née des préoccupations communes à l’espèce humaine, accommodée de points de vue variables, voire divergents, selon le temps qu’il fait, selon le lieu qui prévaut, selon ce tout qu’on appelle culture(s) caractérisée(s) par la diversité. Toujours. Grand prix Arte Mare cuvée 2010, « Mardi après Noël » du Roumain, Radu Muntean. Un film moyennement convainquant. Une réussite formelle certes, mais une intrigue fort mince : une rupture, scrutée, décortiquée du côté d’un quadra, quittant sa femme pour sa maîtresse, sans arriver à éviter les pots cassés malgré une bonne volonté assez confondante. Si l’on est impressionné par l’économie de moyens du réalisateur, son ton demeure trop univoque car centré uniquement sur la problématique masculine. Par contre il est appréciable que l’action de « Mardi après Noël » soit située dans la classe moyenne loin des clichés misérabilistes attachés d’ordinaire à la Roumanie. Un cinéma intimiste de qualité mais qui ne bouleverse pas les codes du genre.Dans « Angèle et Tony » Alix Delaporte met en scène la rencontre entre une ex-taularde, grande, svelte presque dégingandée, et un marin pêcheur, plutôt enrobé, tirant sur le roux, énergique sous des allures pataudes. Bref, c’est pas le couple du siècle, mais le miracle se produit. Magie de deux excellents comédiens – Clotilde Hesme et Grégory Gadebois – et d’une caméra pudique, évitant les effets gratuits, privilégiant un naturel à l’opposé d’un naturalisme brut de décoffrage.Sous le cocasse, la douleur« Le croisement » du Turc Sélim Demirdelen explore ces hasards de l’ordinaire lorsqu’ils se transforment en destin. En fatum porteur de tragédies au quotidien griffées du sceau de la banalité. Un propos sobre, aiguisé comme une pierre coupante. Deux morceaux de vie. L’un pulvérisé à jamais dans un accident de voiture. L’autre préservé et cahotant au cours des jours. Deux existences qui vont se croiser une seconde fois … Cruelle ironie. Une réalisation subtile et attachante.D’Israël au fin fond de la Roumanie, tel est le périple auquel nous convie « Le voyage du DRH ». Son auteur Eran Riklis a en son temps obtenu un Grand prix à Bastia pour « La fiancée syrienne » et ses « Citronniers » lui ont valu une audience internationale. Taxé de « gauchiste » par beaucoup de ses compatriotes israéliens qui lui reprochent une approche trop bienveillante de la question palestinienne, Riklis dénonce avant tout et surtout les absurdités instaurées par des systèmes étatiques appliqués à cultiver les complications tatillonnes quand il faudrait de la simplicité, acharnés à bureaucratiser la moindre formalité pour orchestrer in fine une déroute de l’humain asservi par des mécanismes prétendant le servir ! Sur ce « Voyage du DRH » plane la silhouette fantomatique de la victime d’un attentat suicide. Image d’une femme tuée pour une cause qui n’est pas la sienne et dont l’unique tort est de s’être trouvée au mauvais moment au mauvais endroit. Étrange road movies que ce retour au pays dans un cercueil, planté sur un char, par tempête et blizzard. Et sous le cocasse de certaines scènes pointe vite le douloureux. Et sous le risible jaillit irrépressible le révoltant.Tragédie grecque et résonnances bibliquesAutre habitué des festivals de cinéma bastiais, Paolo Virzi avec « La prima cosa bella ». Au mieux de sa forme le cinéaste livournais, qui d’année en année s’acharne à tourner dans sa ville contre vents et marées. Un film sur la fin de vie qui réussit l’exploit d’être une ode à la vie et une invitation à croquer l’existence à pleines dents. Œuvre bouleversante et pétillante. Intense et réconfortante. Avec dans les rôles principaux deux comédiennes extraordinaires : Stefania Sandrelli et Micaela Ramazotti. A Bastia le jury jeune a eu à cœur de donner son prix à cette réalisation. Une décision heureuse !Au programme encore un superbe Iciar Bollain, « Tambien la lluvia ». Un film dans le film. Une reconstitution historique avec au revers le présent. Hier, avec Christophe Colomb conquérant l’Amérique et réduisant les Indiens en esclavage au nom du Christ… Aujourd’hui, avec une équipe de cinéma qui se dérobe face à l’actualité brûlante d’une lutte syndicale menée par les Indiens boliviens pour l’accès à l’eau. Un scénario hors pair écrit par Paul Laverty qui travaille également avec Ken Loach. Une mise en scène rigoureuse avec un bon et bel usage des moyens du cinéma à grand spectacle. La réalité contemporaine au miroir de l’histoire. Du souffle. De la générosité. La cinéaste espagnole montre autant de brio que de sensibilité et d’humanité.Enfin, le choc avec « Incendies » du Canadien Denis Villeneuve, enquête sur des événements de la guerre civile qui embrasa le Liban dans les années 70. Longue marche d’une fille pour découvrir l’itinéraire d’une mère dont elle connaissait finalement peu de choses. Un chemin de croix jalonné de massacres et de tortures. Mais aussi un parcours indispensable pour renaître et être. Adaptation à l’écran d’une pièce de Wajdi Mouawad « Incendies » jette à la gueule du spectateur des images époustouflantes de l’engrenage infernal qui naufrage la raison des hommes, et des risques encourus par une victime de se métamorphoser en bourreau. A cent lieux d’un événementiel JT le film nous renvoie aux mythes fondateurs de la Méditerranée. Ferments de tragédie grecque mêlée de résonnances bibliques.« Tambien la lluvia » (Même la pluie), « Le voyage du DRH », « Incendies », « La prima cosa bella » vont représenter leurs pays respectifs aux Oscars d’Hollywood … une évidence ! Michèle Acquaviva-Pache