« Face à l’industrie pharmaceutique …. Les pouvoirs publics c’est un ventre mou » Brigitte Rossigneux
Le déclic qui vous a amené à faire ce film documentaire, « Les médicamenteurs » ?
L’interdiction tardive en France du Vioxx, alors qu’il avait été retiré rapidement de la circulation aux États-Unis quand on a pu constater ses effets nocifs.
Dans l’aventure des « Médicamenteurs » vous êtes trois co-auteurs. Comment vous-êtes vous partagé la tâche ?
Stéphane Horel avec son sens de l’image et de l’animation s’est chargée de la réalisation. Annick Redolfi et moi, qui sommes journalistes avons mené l’enquête. Pour ma part comme je fais de l’investigation au « Canard enchaîné » depuis trente ans, il était normal que mon ton reflète l’insolence de la gazette qui m’emploie !
Même sans la diffusion des TV à grosse artillerie votre film a reçu un bon accueil, et retenu l’attention du public. Étonnant ?
Le premier trésor des gens c’est la santé et le film répondait des questions que tout le monde se posait … et se pose. On a donc eu un succès d’estime et obtenu une étoile de la SCAM. Puis l’affaire du Médiator nous a donné tragiquement raison et a eu pour résultat d’apporter aux « Médicamenteurs » une deuxième jeunesse.
En réunissant la matière de votre documentaire qu’est-ce qui vous a semblé important à mettre en relief ?
Face à l’industrie pharmaceutique, à son poids dans l’économie, aux 100.000 emplois qu’elle salarie, quelle est la capacité de régulation et de contrôle de la puissance publique ? Voilà la question à laquelle il fallait répondre, et la réponse trouvée a été : les pouvoirs publics c’est un ventre mou. C’est « je regarde ailleurs mais surtout pas dans la direction où il y a quelque chose à voir. »
Votre reproche essentiel à l’industrie pharmaceutique ?
Je ne suis pas juge, des reproches je n’en adresse à personne ! Je suis journaliste, mon rôle c’est de constater. En l’occurrence ce qui est préoccupant c’est le mélange des genres entre expertise et laboratoires, et le manque absolu de clarté dans l’attitude et la pratique des experts, qui ne mettent pas en ligne leur déclaration d’intérêts comme les y oblige la loi, sauf quand ils ont une épée dans les reins. Or, l’argent, les rémunérations que touchent ces experts des labos le public doit le savoir. Autre point : ces experts sont souvent nommés par les pouvoirs publics non pour leur compétence mais pour leurs affinités politiques.
Mise au point, essais cliniques, évaluation de l’amélioration apportée, fixation du prix, contrôle par la Sécurité Sociale, un médicament doit franchir chacune de ces étapes. Quelle est celle à revoir en priorité ?
Difficile de répondre … En matière de prix la collectivité nationale doit revoir sa copie et sa manière d’évaluation. Sur le plan de la santé publique l’Agence de Sureté Sanitaire qui a porté de si lourdes responsabilités dans l’affaire du Médiator a montré qu’il fallait absolument que les experts soient indépendants des labos.
Au plan de la sécurité sanitaire en France peut-on assurer qu’il y aura un avant et un après Médiator ?
Dans la tête des patients oui, car une saine méfiance s’est installée. Côté pouvoirs publics je suis sceptique : il y a eu des effets d’annonce mais la page est-elle tournée ? Pour qu’elle le soit réellement il faut des experts indépendants qui ne soient pas juges et parties.
Cette indépendance des experts, ça implique quoi ?
Qu’ils soient payés par la puissance publique comme les chercheurs. Mais c’est un choix politique … Il faudrait aussi que cesse le scandale de laisser 98% du financement de la formation continue des médecins par l’industrie pharmaceutique, d’autant qu’elle prend une part de plus en plus importante à leur formation initiale.
Intégrer la recherche sur les médicaments dans la sphère publique est-ce envisageable à l’heure du tout libéralisme ?
C’est un beau rêve ! A contre-courant … Mais penser à une étatisation n’est pas réaliste. Par contre sur tout ce qui ressort de la volonté d’aboutir à un contrôle efficace oui. Là, c’est possible d’agir.
Propos recueillis par M.A-P