De la comédie et du drame, de la tragédie et du burlesque, de l’histoire et des tableaux de société, la programmation officielle du dernier festival de théâtre de Corse affichait qualité et diversité. Bonne cuvée que cette édition 2013 !
Invitée de marque de la manifestation organisée par Jean Pierre Lanfranchi, « Mademoiselle Julie » d’August Strindberg par « Les Tréteaux de France », compagnie dirigée par Robin Renucci. On attendait beaucoup de ce spectacle, très professionnel… sans doute trop !
Marier naturalisme et onirisme
L’un des intérêts, et non des moindres, de la pièce du dramaturge suédois est d’imbriquer une forte dose d’onirisme dans beaucoup de naturalisme. En effet, la référence à la nuit de la Saint Jean est trop constante pour ne pas imprégner la tonalité de l’œuvre. Or, dans l’option de mise en scène de Robin Renucci elle n’est qu’effleurée par l’arrivée d’un masque (élan ? renne ?) plutôt incongrue, et en outre soulignée par un excès inutile de flot sonore. Cette nuit de la Saint Jean, qui évoque tant quelques saturnales nordiques, explique aussi, et au moins autant que la condition sociale des protagonistes les rapports dominante-dominé entre Julie et son valet. Quand à l’accent tonique naturaliste voulu explicitement par l’auteur il ne peut se réduire à la coupe en morceaux d’une tomate par une servante, fut-elle piétiste !
Les nuances d’une « Cerisaie »
Nulle déception par contre avec « U chjarasgetu » de Tchekhov par la troupe « Unità Teatrale », qui restituait bien une œuvre à l’atmosphère si subtile et aux personnages tout de complexité, qui ne sont jamais tout blanc ni tout noir mais qui disent la nuance. Costumes et décors dans des camaïeux de grège et de beige, justesse de l’interprétation, en particulier de Charlotte Arrighi de Casanova (Varia) et d’Anaïs Gaggieri (Douniacha) pour ne citer que deux exemples… Belle prestation en langue corse des comédiens évoluant souvent dans une sorte d’état de grâce plein de sensibilité. Une pièce intemporelle à la résonance très actuelle.
Hamlet, version Laforgue et jazz
Proposé par « Teatr’Europa » « Hamlet » était un véritable défi. Spectacle ambitieux que cette « Suite pour homme seul et trio de jazz ». Un personnage unique incarné par Christian Ruspini, le prince de Danemark. Un texte puisant ses ressorts dramatiques et son fil conducteur chez Jules Laforgue essentiellement tout en reflétant l’omniprésence de Shakespeare. Vengeance. Vérité. Identité. Trois éléments clé de la quête de cet « Hamlet » singulier mis en scène par Orlando Forioso dans un espace simple et raffiné imaginé par Jérôme Casalonga. Importance capitale du trio de jazzmen (saxo-clarinette, basse, batterie-guitare) dans une composition originale sans redondance avec le mot. Une performance d’acteur jamais dépourvue d’émotion et de force. Un bémol : pourquoi affubler le comédien de ces ailes blanches d’aucune nécessité et passablement défraîchies ?
Du boulevard satirique
Registre radicalement différent pour « Beautés fatales » de et par Coco Orsoni et Lucile Delanne. Du boulevard mais suffisamment satirique et bien enlevé pour conquérir un public pas forcément acquis à ce genre de comique sensé déclencher le rire. Mais là, on rit… de bon cœur des (més)aventures de Bibi-Kiki et de son apprentie, Daisy. C’est avec un grand plaisir que l’on retrouve celle qui propulsa en son temps « Rachel et Betty » sur les planches. Du punch, du rythme, de la répartie pour ce nouveau duo qui joue de l’opposition des caractères des deux protagonistes, et qui ne ménage pas les ridicules spécifiquement-authentiquement-identitairement bastiais. Ça fait du bien ! Vive les coups de griffes !
Maux d’ici, maux d’ailleurs
En corse, avec parenthèses en français par moment, « A sintenza » de Marco Cini par « U Teatrinu ». Un propos mêlant histoire et actualité : vindette qui ont ensanglanté le passé de l’île et assassinats qui endeuillent son présent. Dénonciation de l’inaptitude d’une société à canaliser sa violence, à rendre justice au droit et au respect des autres. Intéressant… mais attention aux séquences discoureuses quand elles sont dénuées du recul indispensable pour faire mouche ! L’irruption de l’inconnu, de l’impromptu dans un univers sans aspérité, argument de « L’enclos de l’éléphant » du québécois, Etienne Lapage, par « Le Thé à Trois ». Bizarre partition autour d’une intrusion aussi banale qu’improbable. Un face à face entre un bonimenteur énergique, Pierre Salasca, et un hôte mollasson et manipulable, Paul Grenier. Un spectacle qui devrait aller en se bonifiant au fur et à mesure des représentations. Pareil pour « Le tour des maux dits », écrit et mis en scène par Laure Salama. Des jeux de mots sur nos maux quotidiens. Torrents suffocants du verbe avec escalades et désescalades labyrinthiques toujours recommencées.
En avant… plouf !
Astucieux, malicieux, bourré de fantaisie ce « Cirque Plouf » par la compagnie « Acrobatica Machina » fondée par Lauriane Goyet. Une drôlerie trépidante au service d’un contenu très grave : celui immensément gris du cours des jours, celui de l’angoisse du lendemain. De la vivacité et de la vitalité. Des couleurs joyeuses et cet appétit de vivre qui interdit de baisser la tête malgré les coups du sort et de plier l’échine sous un poids de désespoir. Qu’importe si les numéros de ces acrobates amateurs font plouf, ils remettent ça avec une foi en l’humain qui ne se résout pas à confondre destinée et fatalité.
Michèle Acquaviva-Pache