Les écoutes et leur croissance exponentielle en France. 440% de plus en dix ans. Plus de 5 000 écoutes judiciaires. Sans compter les irrégulières, privées et publiques. Intrusions en masse dans la vie privée. Caméras aux boutiques et grandes surfaces. Multiplication des caméras cachées. Les radars dissimulés le long des routes s’ajoutant à tous les autres. Bref, « le Meilleur des mondes » du prophète Orwell se mettant en place. Montesquieu, philosophe des démocraties, donnait à celles-ci la vertu comme socle. De nos jours prolifèrent les penseurs et acteurs politiques qui n’ont à la bouche que les mots de « cercles vertueux ». On parle même de remettre la morale à l’école. Mais la question est « Quelle vertu ? » et aussi « Quelle morale ? » Celle de la dissimulation et de la méfiance poussées à l’extrême ? Opposition de l’Etat et des individus au-delà de la devise de notre République ? Devise humaniste s’il en est. Cette promotion de l’espionnage à l’intérieur d’un pays démocratique et en paix n’est pas de bon augure. On ne revient pas seulement aux consignes des temps de guerre où l’on avertissait les bons citoyens en leur recommandant : « Méfiez-vous les murs ont des oreilles. » Les oreilles de l’ennemi bien sûr. Mais cette fois, malgré la disparition des espions ennemis, les bons citoyens sont encore épiés, observés, au grand dam des droits de l’Homme et du Citoyen. Certes, on n’est pas revenu dans le monde occidental aux odieuses et criminelles dictatures du XXe siècle. Ces centaines de milliers de gens, voire des millions, ne sont qu’observés, écoutés ou catalogués. Observateurs, c’était le nom que donnait, autrefois, la République de Venise aux agents de cette oligarchie qui n’avait rien d’humaniste. Le pouvoir était aux mains d’un Conseil des Dix et de Trois Inquisiteurs bien plus que dans celles du Doge. Les Trois espionnaient les Dix. Les Dix espionnaient le Doge et vice-versa. Les observateurs espionnaient tout le monde. Peu d’indices suffisaient pour présumer qu’un individu était coupable : un léger soupçon, la renommée et un simple ouï-dire. On connaît les aventures de Casanova, joueur de cartes invétéré et séducteur de dames de la haute société. Jeté sous les toits de la prison des « Plombs », il eut la chance de s’en évader. L’observateur Manuzzi , entre quelques autres, en avait donné une image qui lui avait été funeste. La voici : « c’est un habile homme, il s’introduit partout. Il fréquente chez les Patriciens et incite les jeunes au libertinage. Vénitien il a des accointances suspectes avec les ministres étrangers… Il parvient à vivre aux dépens d’autrui, et, en particulier, de Zuan Bragadin à Santa Maria. » Ce rapport suffit aux Grands Inquisiteurs à perdre Casanova. Un historien, admirateur du système vénitien, avait pu dire cependant : « Quelle confusion. Quel abus d’autorité ! Quel renversement du vrai, du juste. Cependant, tout en tremblant au souvenir d’une institution si formidable, tout en maudissant, sa perversité et ses maximes on doit avouer qu’elles assuraient la sécurité de la ville : oui, mais on peut ajouter qu’il serait désolant pour nous, élevés dans d’autres principes sincères et éternels de la morale, d’acheter si cher le repos de l’Etat. » Tout est dit.
Marc’Aureliu Pietrasanta