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Des peintures napolitaines au Musée de Bastia

jeudi 26 juillet 2012, par Journal de la Corse

Un heureux tour d’horizon

Un regard nouveau sur la peinture napolitaine des 17e et 18e siècles… Voilà la proposition du musée bastiais en exposant des oeuvres remarquables données à la ville à la mort du cardinal Fesch.

Faramineuse la collection de l’oncle de Napoléon, puisqu’elle comptait quelques 16 000 oeuvres. A titre de comparaison le Louvre possède environ 8500 toiles ! Par legs Bastia a reçu cent tableaux ayant appartenu au cardinal. Des restaurations longues et délicates s’imposaient. C’est fait pour certaines œuvres qu’on peut (re)découvrir dans le magnifique cadre du Palais des Gouverneurs… Dix sept tableaux qui interpellent. Qui étonnent. Qui émeuvent ou font sourire, dont deux prêtés par le Musée d’Ajaccio. Des oeuvres présentées avec intelligence et subtilité tout en alliant une pédagogie nécessaire, qui ne gâte rien ! Au contraire ! Fil conducteur suivi par les deux têtes pensantes de l’exposition, Élisabeth Cornetto, (à droite sur la photo) conservateur en chef et Ariane Jurquet,(à gauche) assistante qualifiée de conservation du patrimoine : une lisibilité mettant parfaitement en valeur les oeuvres. Les pièces restaurées et montrées donnent une idée de la diversité des créations picturales napolitaines de l’époque. De la peinture d’histoire qui associe aussi scènes religieuses, mythologiques, allégoriques ou de batailles à la peinture de genre avec ses représentations de la vie de chaque jour ; de la peinture de paysage parfois axée sur l’architecture surtout, parfois très fantasmagorique à la nature morte, on peut faire un passionnant tour d’horizon des créations foisonnantes des ateliers de Naples. Le contexte de la ville, qui a profité de la prospérité de la seconde moitié du 16e siècle, explique – ainsi que le souligne le beau catalogue publié à l’occasion de l’exposition – la profusion de la production picturale napolitaine, même si par la suite de terribles crises frappent Naples… Éruption du Vésuve en 1631. Révolte fiscale en 1647. Guerres de succession. Grande peste de 1656 avec ses 200 000 morts, soit la moitié de la population anéantie… Les catastrophes se suivent avec leurs cortèges de souffrances et de deuils. Mais au 18e siècle Naples renoue avec le dynamisme dans tous les domaines : politique, économique, artistique… Impossible de ne pas mentionner non plus les redécouvertes d’Herculanum et de Pompéi. Au gré de sa sensibilité personnelle on pourra s’attarder sur le ténébrisme poignant de la « Visite de saint Antoine l’abbé à saint Paul ermite » de l’école de Ribera ou de Luca Giordano, les attributions sont fluctuantes pour la plus part des oeuvres mais l’intensité des réalisations demeure. On admirera les resplendissantes natures mortes de Ruoppolo ou plutôt de son entourage. On décortiquera l’ironie joyeuse du « Joueur de billard » de l’atelier d’Amalfi. On sera séduit par l’humour amusé d’ « Achille à la cour de Lycomède », clin d’oeil sexiste, toile attribuée à Fracanzano dont la cote monte beaucoup. Autant d’œuvres au caractère très napolitain et d’une tonalité très européenne tant les artistes en ce temps là voyagent et échangent entre eux.

Michèle Acquaviva-Pache

Quelle place occupe la peinture napolitaine des 17e et 18e siècles dans la collection Fesch ?

Elle n’est pas des plus prisée car son réalisme heurte le goût des contemporains du cardinal ; ils préfèrent le classicisme. Mais l’oncle de Napoléon veut, lui, disposer d’un panorama complet de la peinture italienne. Il achète donc des oeuvres napolitaines. Un autre collectionneur, François Cacault, fait de même. Dans les autres collections du temps la peinture de Bologne, plus hiératique, est plus présente car très appréciée. On trouve néanmoins des toiles napolitaines dans les collections de l’impératrice Joséphine, de Lucien Bonaparte et des Murat.

Caractéristique de cette peinture de Naples ?

Une production picturale prolifique, considérée à l’époque comme triviale alors qu’aujourd’hui on souligne son extrême vitalité et sa manière de montrer les gens tels qu’ils sont et non comme des archétypes. C’est particulièrement vrai dans des scènes de genre, ainsi ce « Joueur de billard » attribué à l’entourage de Carlo Amalfi, qui ne cherche pas à dissimuler les défauts des personnages. C’est aussi le cas de scènes religieuses telle la Visite de saint Antoine abbé à saint Paul ermite de l’école de Juseppe Ribera ou de Luca Giordano, qui à l’instar des peintres espagnols montre des sujets de façon très réaliste en insistant sur leur vieillesse, leurs rides, l’usure de leurs corps. Les événements tragiques qui ont frappé Naples sont sans doute pour beaucoup dans cette approche de la vie par les artistes.

Les genres les plus représentés ?

La peinture d’histoire car elle apporte aux peintres la reconnaissance, et c’est ce que les commanditaires, qui sont des aristocrates, leur achètent surtout au 17e siècle. Au 18e avec la montée en puissance de la bourgeoisie la clientèle se démocratise, et la nature morte qui peut se décliner dans des formats plus réduits, se démocratise. Une centaine d’années plus tôt, Le Caravage, lui-même, après s’être illustré dans les scènes d’histoire, va s’intéresser aux représentations de la vie quotidienne.

Que sait-on des ateliers napolitains des périodes concernées ?

Autour du maître, les élèves, souvent ses propres enfants ou des proches. Certains sont des apprentis, d’autres des tâcherons s’occupant des fonds. Au maître la peinture des visages et des mains des personnages du premier plan. A lui également de décider de la composition de l’oeuvre. Il y a de véritables dynasties de peintres. Au 17e siècle, moment de la Contre Réforme où on doit renouveler les décors des églises il y a énormément de travail partout pour les artistes.

Une partie du legs Fesch à Bastia se trouverait chez des particuliers ?

En 1844 la ville a reçu cent tableaux de la collection Fesch. Une vingtaine est dans les églises. Une quarantaine au musée. Restent une trentaine de pièces qui ont disparu. Que sont-elles devenues ? On ne sait car on n’a aucune liste précise du legs. Pareille rumeur a couru à propos des amphores conservées au musée. Or, elle est fausse !

D’où le cardinal Fesch tenait-il son goût quasi boulimique pour la peinture ?

Ses motivations profondes nous échappent, mais on sait qu’il a eu de sérieuses opportunités durant la campagne d’Italie et lors de l’exercice de ses fonctions dans la péninsule. Très vite il a eu l’idée de constituer une collection qui soit un panorama de la peinture européenne du Moyen Age au début du 19e siècle. Il s’inscrivait ainsi dans l’esprit encyclopédique des Lumières. De son vivant sa collection était très réputée. On pouvait visiter sa grande galerie. Pour ses acquisitions artistiques il acheta plusieurs palais romains. A sa mort les grands musées d’Europe et des États-Unis ont acquis le nec plus ultra de ses tableaux. Pour le reste, de vente en vente des oeuvres ont été ré-entoilées effaçant très fréquemment le cachet du cardinal. D’où des difficultés à certifier que certains tableaux proviennent bien de sa collection.

Propos recueillis par M.A-P

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