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DES GUERRES ET DES MONNAIES

jeudi 22 décembre 2011, par Journal de la Corse

Novembre-décembre 1942. Préparation aérienne au débarquement en Angleterre de l’armée allemande. La Luftwaffe déverse sur Londres et les villes anglaises un déluge de fer et de feu. Mais en décembre la Royal Air Force prend le dessus. Hitler met fin à son projet « See löwe » (Lion de mer). Dans Paris occupé, le chansonnier corse Martini se produit devant un public où figurent aussi des officiers allemands. Il entre en scène et essaye d’enfiler sa veste, à plusieurs reprises, sans y réussir. « C’est la manche qui ne passe pas » lance-t-il sous un tonnerre d’applaudissements. Aujourd’hui, sans tambours ni trompettes, c’est le Premier ministre britannique David Cameron qui refuse, pour son pays, le passage de la Manche en pleine guerre des monnaies. La géographie vient de l’emporter. On avait oublié que pour les Britanniques, les limites de l’Europe se trouvent là où commence la mer. L’Union européenne ne serait-elle pour Cameron que l’Europe continentale ? Le Premier ministre anglais, leader des conservateurs, ne serait-il qu’un vieux Tory nostalgique, disciple de Pitt et de Churchill ? Nous ne sommes pourtant plus aux temps de Hitler, Guillaume II ou Napoléon et des menaces de débarquement qu’ils représentaient. On ne peut croire, bien sûr, que ce brillant Premier ministre en soit resté à l’idéologie de Clausewitz selon laquelle la paix n’était qu’une guerre poursuivie par d’autres moyens. Certes le moyen monétaire de Pitt, endettant l’Etat colossalement en faisant fonctionner à plein l’émission de livres sterling en billets pour créer et soutenir les coalitions contre le blocus continental, ce moyen peut figurer dans les livres d’histoire du XIXe siècle, période où la Grande Bretagne régna sur le monde par sa flotte et sa monnaie unique internationale. Mais la situation de notre époque a changé considérablement et placé toutes ces réminiscences parmi les legs du passé sur les étagères des bibliothèques ou dans les vitrines des musées. Même si les notations de l’agence américaine Standard and Poors, en annonçant les rétrogradations des pays de la zone euro tout en épargnant la Grande Bretagne beaucoup plus déficitaire que la Grèce et endettée que la France, laisse supposer une connivence anglo-saxonne entre la City et Wall Street. Elle remet en mémoire ce contrat implicite d’action concertée avec les Etats-Unis qui avait prévalu au XIXe siècle. Jefferson, président des Etats-Unis, pourtant francophile, avait initié cette doctrine dans une lettre en 1802. Craignant l’expansion d’une union franco-espagnole qui commençait à poindre, il écrivait : « Dès ce moment nous serons tenus d’épouser la flotte et la nation britannique. » Les présidents Monroe et Madison confirmèrent ce pacte secret et non écrit. Ce lien anglo-américain demeure semble-t-il l’élément décisif dans le réseau international des deux Etats bien que leurs forces soient inversées. Le dollar a remplacé la livre sterling comme monnaie d’échange internationale et la flotte américaine a repris le rôle de la Royal Navy pour le contrôle des océans. Une telle complicité semble pourtant bien obsolète. Notre époque est tout autre. Et l’on ne peut croire aux idées de Clausewitz selon lesquelles la paix ne serait qu’une guerre continuée par d’autres moyens ni penser que les spéculations boursières d’aujourd’hui seraient l’indice d’une guerre des monnaies visant à la capitulation en rase campagne de l’Euro dont Cameron serait le nouveau Churchill ou le nouveau Montgomery. Sacrés British quand même !

Marc’Aureliu Pietrasanta

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