Elu récemment pour représenter le collège musique et chant au Conseil économique et social de la Corse (CESC), Damien Delgrossi préfère oublier la polémique qui a entouré son élection pour se consacrer à sa mission au sein du Centre de musiques traditionnelles (CMT) dont il est le directeur depuis le 1er octobre 2009.
Pouvez-vous nous définir en quelques mots les ambitions du CMT ?
Suite à un audit, le CMT a subi une restructuration en 2009, à mon arrivée, et s’est axé sur l’information, la valorisation des musiques traditionnelles et du patrimoine immatériel, ainsi que sur la recherche et l’édition. Nous envisageons d’éditer des travaux sur le chant corse effectués par des chercheurs anglais et allemands. Nous avons également édité avec l’association Cismonte e pumonte un livre de poésie des poètes improvisateurs du Chjami e rispondi. La formation a quant à elle été confiée aux associations. Nous avons également œuvré à la création d’un réseau qui regroupe aujourd’hui 38 associations sur tout le territoire corse. Actuellement, nous sommes en train de créer des pôles associés. Au sein de ce réseau, des associations sont conventionnées pour représenter le CMT dans les différentes microrégions.
La promotion de la musique traditionnelle corse comprend également un volet consacré aux échanges avec le continent. Quels sont-ils ?
Nos rapports avec le continent sont très forts et féconds. Le CMT dispose d’un label décerné par le ministère de la Culture et au titre de directeur du CMT corse je représente la région au Centre d’information de musiques traditionnelles et du monde (CIMT). Un véritable réseau européen s’est constitué et la Corse participe à l’Euro-world book, le plus important annuaire des musiques du monde en Europe. Le CMT est également en liens avec la Fédération des associations de musiques et de danses traditionnelles dont la dernière assemblée générale s’est tenue à Corte en mai. Ce sont des actions peu médiatisées mais qui nécessitent des échanges constants.
Quelles sont les évolutions prévues ?
Nous aimerions nous orienter davantage vers l’Italie et la Sardaigne qu’on oublie trop souvent. En terme de poésie improvisée, le Chjami e rispondi corse est très proche du Tavarino de Toscane. Depuis deux ans, des échanges réguliers ont lieu entre la Corse et cette région d’Italie où nous étudions une école d’improvisation. Numériquement parlant, le dynamisme corse pour la poésie improvisée est nettement plus marqué puisque nous avons une quarantaine de poètes pour une population de 100.000 locuteurs corsophones tandis que la Toscane compte 60 poètes pour un million d’habitants.
Le Chjami e rispondi est-il toujours menacé de disparition, selon vous ?
Nous observons depuis ces dernières années un renouveau fantastique qui nous rend optimiste. Certains aspects de la musique Corse sont menacés comme la pratique instrumentale. Je vois de moins en moins de jeunes s’intéresser à la cetera ou à la pifana. Des cours sont dispensés à Patrimonio et à Pigna mais le coût élevé de ces instruments peut inciter les jeunes à se tourner vers le violon ou la guitare. L’artisanat a un coût et même si les luthiers font des efforts extraordinaires pour afficher des tarifs avantageux, la cetera et la pifana ne restent pas accessibles à toutes les bourses corses. C’est pourquoi nous essayons de créer un parc instrumental au CMT qui serait disponible sous forme de prêt.
Ne faudrait-il pas rendre obligatoire l’enseignement de toutes les composantes de la musique corse (chants, instruments, Chjami e ripsondi) à l’école ?
Ce serait l’idéal… De nombreuses régions dispensent l’enseignement des spécificités culturelles à l’école : les petits Grecs connaissent les rythmes musicaux, les petits Basques improvisent en Bertsu,… La Corse fait hélas exception : aucune institution publique ne propose cet enseignement et notre Conservatoire ne dispose même pas de département consacré à la musique traditionnelle corse. C’est aux associations d’assurer cet apprentissage qui n’est pas sanctionné par un diplôme. La musique est un aspect d’un ensemble de pratiques populaires. Si cet ensemble se détériore, la musique continuera mais avec un aspect social différent. Notre but est de conserver cet aspect social anthropologique. C’est comme pour la langue corse, si on chante sans comprendre le sens des mots…
Comment se porte la langue corse, selon vous ?
Dans les années 70 et à l’époque du Riacquistu, le Corse était employé pour les banalités de la vie quotidienne et le Français pour les sujets plus profonds. Aujourd’hui, c’est l’inverse : le Corse est devenu la langue des arts et de la culture. On utilise la langue corse pour les débats philosophiques et le Français pour savoir ce que l’on mange. On chante les paghjelle en corse mais on se demande en français quelle paghjella on va chanter… Le CMT rejoint le collectif Parlemu corsu pour ses revendications d’une scolarité entièrement bilingue. Je crois en la force de l’école qui doit se positionner davantage en faveur de la langue corse et bénéficier d’agrément du ministère de la Culture. Je ne suis guère optimiste… Il fallait se battre en 1970, il faut se battre encore plus en 2011, car tout n’est pas gagné. Loin de là…
Vous estimez-vous soutenu par la Collectivité territoriale ?
C’est un peu compliqué depuis la nouvelle équipe car nous n’avons pas de conseiller exécutif délégué à la culture. Nous n’avons pas d’interlocuteur direct, nous traitons avec des agents administratifs qui relayent nos demandes au président Giacobbi. Beaucoup d’associations de notre réseau n’ont pas été financées cette année et le CMT vit sur les fonds de roulement de l’année 2010.
Comprenez-vous la polémique qui a découlé de votre élection au CESC ?
Oui, je la comprends dans le sens où les listes étaient incomplètes. Je l’avais moi-même signalé à la Direction régionales des affaires culturelles il y a deux mois. Ce qui n’est ni de mon ressort ni un motif pour contester mon élection. Soixante-cinq associations qui ont une activité effective dans la musique et le chant ont choisi de voter pour moi. Le CMT était en chute libre lorsque j’ai pris sa direction en 2009 et nous sommes parvenus à le relever, à effectuer un vrai travail de collectages, de valorisation du patrimoine, de maillage du réseau associatif. Cette transparence du travail et ses résultats ont donné toute crédibilité à ma candidature et mon élection ne pouvait pas être plus démocratique. C’est pour cette raison que je reste serein, même si je dois aller devant le tribunal administratif.
Qu’est-ce qui a motivé votre candidature au CESC ?
En tant que directeur du CMT, je vais à la rencontre des associations pour mieux les accompagner dans leur activité en faveur de la musique corse et consolider ce formidable réseau. J’ai estimé que j’étais le mieux placé pour représenter toutes ces associations au sein d’une institution publique et consultative. Le CESC ne fait pas de la politique politicienne mais est au service du milieu associatif.
Interview réalisée par M.K