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Cinémas d’Afrique

jeudi 14 avril 2011, par Journal de la Corse

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Aux frontières de la fiction

Dans un monde écartelé entre guerres, raz-de-marée, tremblements de terres, crise nucléaire et économique, épidémies … à quoi peut bien rimer ces trouvailles cinématographiques régulières baptisées festival ?

Festival ce mot ne renvoie-t-il pas à la fête, à des moments de bonheur, de joie partagée ? Alors comment être heureux ou plutôt pas tout à fait écrasé sous le poids du malheur quand la maison brûle ? Quand tout va mal … ou presque car il y a tout de même quelques soleils pour illuminer l’horizon ? Cette question courait dans les têtes lors du dernier Fespaco de Ouagadougou. Mais ne faut-il pas savoir s’extraire des contextes les plus âpres pour enclencher un exercice salutaire de résistance mentale ! Façon d’affirmer qu’il reste toujours et malgré tout des espaces, voire des interstices où l’humain s’accroche et tient bon.

La toile comme une trêve

Au Burkina Faso, le festival panafricain du cinéma a signé quelque chose qui ressemble à une trêve dans un climat politico-social agité. Qu’on en juge : une tragique bavure policière provoquant la mort d’un lycéen. Des manifestations de jeunes. Sept tués dont six du côté des manifestants. Université, établissement scolaires fermés durant le festival et même au-delà. Si tôt le rideau tombé sur les festivités voilà des militaires dans les rues se livrant à des voies de fait contre des commerçants et à ce qui s’apparentait à des mutineries. On imagine aisément les réactions qui s’en suivirent et les supputations suscitées par une conduite aussi « déplacée » des hommes en uniforme … Tensions internes avec couvre-feu, tensions externes également : les nombreuses et très longues coupures de courant étaient autant de rappels constants à la situation de belligérance prévalant en Côte d’Ivoire voisine, pays alimentant le Burkina Faso en électricité !

De lucidité et de prescience

L’actualité burkinabé, tunisienne, égyptienne ne pouvait que renforcer la curiosité éveillée par l’annonce du film « En attendant le vote… » réalisé par Missa Hébié, d’après le livre presqu’homonyme d’Amadou Kourouma, « En attendant le vote des bêtes sauvages ». C’était véritablement un défi que de transposer au grand écran le roman du très célèbre écrivain ivoirien. Si l’on reprend la jolie formule du cinéaste, Antoine Santana, voulant qu’une adaptation relève de l’adoption et non la mise en image au sens littéral, Missa Hébié, le Burkinabé, a réussi son impossible mission. Dans le roman de Kourouma il a fait des choix qu’il a placé en exergue pour, in fine, en respecter l’esprit : la dénonciation radicale d’une dictature qui conjugue crimes, pourriture, et gérontocratie assaisonnée à la sauce rance d’une institution financière mondiale dont les exigences assujettissent encore plus les peuples fragilisés qu’elle est supposée aider. Le film d’Hébié est un hommage vibrant à Kourouma, à sa lucidité, à sa prescience politique.

Le sacrifice du fils

Le quotidien d’un père et de son fils à l’arrière d’un front, tel est la toile de fond d’« Un homme qui crie » de Mahamat-Saleh Haroun. La guerre n’est qu’un bruit lointain au milieu des difficultés de l’existence quand soudain elle fait irruption et bouleverse tout. Cette réalisation subtile qui mêle l’affectif (les rapports père-fils) et la situation d’un pays en proie à un conflit armé (le Tchad) a valu à son auteur un prix spécial du jury au Festival de Cannes 2010. Justesse de ton, jeu des acteurs, esthétique de la photographie, maîtrise du récit font là une œuvre intense et originale.

Des larmes aux rires

Version comédie la politique était aussi présente avec « Un pas en avant – les dessous de la corruption » du Béninois, Sylvestre Amoussou dont on peut regretter qu’il ait disposé de si peu de moyens pour tourner. N’empêche ce film vaut à ceux qui le regardent des instants hilarants, et lors des projections à Ouagadougou l’adhésion du public fut totale tant il semblait se retrouver en pays de connaissance et trop heureux de cette stigmatisation d’une tare asphyxiante de misérable gouvernance. Même recours au comique chez Oswell Brown pour évoquer une certaine condition féminine dans la moyenne bourgeoisie ivoirienne. Une réalisation drolatique et bien enlevée dans un décor urbain d’Afrique avec clins d’œil appuyés à Eddy Murphy et à Beyoncé ! Un de ces films qui mine de rien disent beaucoup sur leur société, force pirouettes à la clé. Surprenant de bonne humeur sur un rythme vif, interprété de surcroît par de délicieux acteurs que ce « Mec idéal ».

Le Caire, version féminine

Le sort fait aux femmes, thématique centrale de « Raconte Shéhérazade, raconte … » de l’Égyptien, Yousry Nasrallah. Disqualifié par le jury au prétexte d’un format de copie non conforme au règlement, ce film est impressionnant et prémonitoire de la chute de Moubarak. Intitulé également par le distributeur français, « Femmes du Caire » l’histoire traite frontalement des violences physiques, morales, sociales, économiques subies par les femmes et leur combat pour la liberté tant au travail que dans la famille ou dans le couple. Récit sans concessions, avec touches d’un sulfureux érotisme pour le Machrek, « Raconte Shéhérazade, raconte… » montre combien dans une lutte de libération sont indissociables la part de l’individu et celle du collectif, et combien tout se joue dialectiquement. Magnifique.

Fille du Maghreb

Autre production de fibre très méditerranéenne, « Pégase », premier long métrage de Mohamed Mouftakir. Une narration complexe bien accordée à l’analyse de la confusion psychique d’une fille à qui son père a fait croire qu’elle était un garçon car la tradition exigeait de lui un descendant mâle. Aux confins du cauchemar et de la folie une quête de vérité pour assumer un statut de femme nié, dénié par l’autorité paternelle. Un personnage en miettes qui doit construire son identité. Un beau travail qui puise dans le mythe et le fantastique. Dommage que l’accompagnement musical soit si lourdingue ! A contrario ce Fespaco aura été l’occasion de découvrir un compositeur de musique de film prometteur en la personne de Wasis Diop, qui a travaillé sur « Un homme qui crie », « Un pas en avant – les dessous de la corruption » et « En attendant le vote … ». Alors le cinéma ça rime à quoi quand la maison brûle ? Quand le monde ne tourne pas rond ? ... Ça sert à faire une pause. A prendre du recul. A voir avec ses yeux. A la fiction de convoquer le rire, les larmes ou le rêve c’est toujours une manière d’opérer un retour réfléchi vers le réel.

Michèle Acquaviva-Pache

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