Chet Baker ou l’ange aux ailes brisées. Trompettiste, chanteur et compositeur de jazz américain (Yale1929 - Amsterdam 1988), lorsque sa famille part pour la Californie, il a tout juste 10 ans. Auditeur attentif notamment de Lester Young, il se produit dès son adolescence avec des orchestres de danse. Mais c’est sur le vieux continent qu’il découvre le jazz moderne. Il étudie l’harmonie (1) et la théorie musicale. Puis en garnison à San Francisco il entre dans le Presidio Army Band où il est assez vite réformé pour raisons psychiatriques. De retour à Los Angeles en 1952, il joue avec Stan Getz et Charlie Parker. Puis il dévoile ses dons de chanteur. Mais il est séduit par la drogue. Ce qui ne l‘empêche pas d‘enregistrer une dizaine de disques. Son activité est interrompue par des poursuites pour usage de stupéfiants. Il fait une chute .mortelle de la fenêtre de sa chambre d‘hôtel à Amsterdam...Chez ce trompettiste de la délicatesse et de la fragilité, sa sonorité devenue célèbre, se précise. Ses attaques sont légères. Sa voix, texture évanescente, s’épanouit à l’extrême limite de la brisure, sans y céder quand même. On pourra se procurer facilement l’album, intitulé « The very best of Chet Baker » (2). On trouve des pièces telles que « I Waited for you », « Once up on a summertime », « Deep in a drame », etc… Avec la disparition de Baker s’envola un secret : celui à jamais perdu d’une sonorité de trompette délicate, suave et pensive. S’éteignait une voix d’ange, lointaine, presque éthérée ; insidieusement douce, aux inflexions féminines ou plutôt androgynes. Une voix innocente venue d’ailleurs. Il était si doué que c’en était presque indécent, injuste. Rarement musicien aura approché avec tant de naturel l’évidence et le mystère du jazz.
Vincent Azamberti
(1) Ici, ce terme signifie : science de la formation et de l’enchaînement des accords. (2) Jazz collection MBB 60 45