Si parler d’enfant prodige exige les plus grandes précautions, nul n’y verra le moindre abus, quand, évoquant le talent inouï d’Evgeny Kissin ; on s’aventurera à en parler à son propos. Non que cela suffise à fonder l’art qui est le sien aujourd’hui à quarante ans, mais on est confondu, quand, connaissant la brillante carrière qu’il poursuit, on constate que ses dons d’enfant ont tenu leurs promesses. En 1988 il se produisit à Berlin sous la direction de Karajan. En 1990 il faisait ses débuts aux Etats Unis avec Zubin Metha à la tête de l’Orchestre Philarmonique de New York. L’enfant prodige était parvenu à maîtriser la transition vers l’âge adulte grâce à un encadrement familial et pédagogique très strict. Ces quelques précisions données, voici Kissin dans un récital Chopin, littéralement prodigué au Festival de Verbier en 2004, enregistré pour le compte de RCA en 2006.On peut se procurer encore cet album (1) En voici le programme : 4 Polonaises, 3 Improptus, La Fantaisie -Impromptu. Kissin vise juste en son jeu, doué d’une intelligence rare du texte musical. Pour les Polonais, les Polonaises de Chopin sont l’expression la plus haute de la résistance contre l’envahisseur. Dans les deux Polonaises op.26, la virtuosité cède peu à peu à la confidence. Mais la puissance qui se cherchait éclate. On a pu écrire que chez Chopin, si le corps est débile, l’âme est celle d’un lion. Qu’on s’en pénètre, tachant d’oublier les sottises tant de fois proférées sur les faiblesses de ce prodigieux maître, grand parmi les grands de l’histoire de la musique. Dans la seconde de ces deux pièces, il s’agit surtout d’une exaltation romantique. La Polonaise op.40 n°2 est désolée. Peut-on y voir une évocation contrastée de la Pologne, sa grandeur et son deuil ? Et dans l’op.53, dite « héroïque » le fantasme d’une libération de la Pologne ? La musique ne s’écrit pas avec des mots et, comme l’art abstrait réussi, elle est un langage libre. Les trois impromptus op.29, 36, 51 auxquels s’ajoute La Fantaisie -impromptu dont la popularité est immense, recèlent comme un ruissellement dans le premier, une poésie profonde dans le second, une ardeur discrète dans le troisième. Le tout compose un récital très prenant.
Vincent Azamberti
(1) RCA. Verbier Festival Academy 828 76 68 66 9