Quel mélomane tant soit peu sérieux méconnait le nom et le talent de Roberto Alagna ? D ‘ascendance sicilienne, ce chanteur lyrique (ténor) fait ses études musicales à Paris et remporte en 1988 le Concours Luciano Pavarotti. Il débute la même année au Festival de Glyndebourg dans le rôle d’Alfredo (La Traviata). On l’invite immédiatement à chanter sur les principales scènes européennes, notamment à La Scala. La France le découvre dans le rôle de Roméo (Roméo et Juliette de Gounod) au Capitole de Toulouse. Puis c’est Montpellier, l’Opéra Comique, Milan de nouveau, Vienne, le Met de New York. Bref. Des débuts éblouissants. Le label Deutsche Grammophon nous le propose dans un récital de chansons siciliennes intitulé « Sicilien », comprenant seize pièces, toutes plus séduisantes les unes que les autres dont ici quelques titres : « Abballati », « Parla piu piano », « Mi votu », « Ciuri, ciuri » etc… » « Ces chansons, dit Alagna, sont en moi… », « Sicilien » est une recherche d‘identité. « Je me suis soudain senti Sicilien en enregistrant ce disque… C‘est le disque d‘un fils de Sicilien cherchant ses racines ». D’où l’importance pour les Siciliens de France d’un répertoire populaire dont une bonne partie parle de la terre aimée et de l’exil. « La chanson sicilienne, ajoute Roberto, est très belle, très noble. Elle est d’un curieux éclectisme qui tient à la position stratégique de l’île par laquelle sont passés les Phéniciens, les Grecs, les Carthaginois, les Romains, les Normands. » Corses, nous comprenons cela parfaitement, notre île ayant connu les mêmes faits historiques (neuf invasions en vingt siècles). Dans le chant d‘Alagna se révèle une Sicile aux couleurs fortes et changeantes, radieuses et déchirantes. Tout en cet album est chanté en sicilien, sauf la célèbre chanson du film « Le parrain », « Parla più piano ». C‘est encore Dominique Fernandez qui écrit : « Ivresse. Un mot qui ne convient point si on le prend dans son sens littéral, car personne n‘est plus sobre que les Siciliens. S‘ils se grisent, ce n‘est pas de vin mais de formes et de couleurs ; remède contre le mal de vivre et qui, s‘il n‘est pas souverain. pour tous les cas d’affliction et de détresse, a cet avantage au moins de les rendre amusants, incrédules, ironiques, pleins de ces qualités dont manquent les peuples à l’histoire plus tranquille et devenus bourgeois par l’habitude de la richesse et de la sécurité » (2).
Vincent Azamberti
(1) DG LC00173 480 210-6
(2) Le radeau de la Gorgone (Grasset. 1988)