Attention aux idées reçues et autres stéréotypes le cinéma méditerranéen ainsi qu’en administre la preuve Arte Mare sait être drôle et pas toujours dramatique. Léger et pas uniquement sombre. Audacieux de forme et de fonds et pas bêtement banal !
La diversité du film méditerranéen est encore venue nous sauter aux yeux durant le festival bastiais. Pour composer la sélection des réalisations en compétition Pierre de Gardebosc a une nouvelle fois démontré la pertinence de ses choix. Dans une salle du théâtre aux sièges rénovés– après trente ans de services les vieux fauteuils n’en pouvaient plus !– et aux peintures murales refaites– peut-être un peu trop foncées ? – le public a répondu présent chaque soir. Volonté de se distraire certes… Pas seulement. Dans l’air l’envie de comprendre aussi. De se sentir concerné par ce lac des tempêtes qu’est le Mare Nostrum. D’échapper aux sempiternelles mêmes images de télévision, qui de chaînes généralistes en chaînes « tout info » nous servent une soupe insipide d’actualités rabâchées au lieu de nous éclairer.
Jérusalem, Gaza et internet
Du rire à la tristesse, de l’espoir à la colère toute la palette des sentiments, des sensations déroulait ses couleurs sur grands écran, et le style se déclinait au pluriel. Le style marque de l’auteur, griffe du créateur (trice). Ce style sans lequel monotonie et routine seraient reines et les sujets condamnés à l’éteignoir. Autre qualité stimulante des films en compétition : leur résonance aux temps présents, leur prise directe sur les problématiques de l’heure. Parce que notre ciel de crise est décidément très noir, empli de bruit et de fureur il n’est guère étonnant que les spectateurs aient décerné leur prix à « Une bouteille à la mer » de Thierry Binisti. Besoin d’être réconfortés ? Rassurés ? Quoi de plus naturel… Ce film évoquant le conflit israélo-palestinien vibrait comme un message d’espérance. Proclamait qu’il ne faut pas penser que tout est perdu, que la mer pouvait être un trait d’union malgré la guerre, les souffrances et le sang. Un garçon et une fille, chacun dans un camp – elle est israélienne, il est palestinien – vont réussir à communiquer par mail. A se dire des fragments de leurs réalités douloureuses, et des bribes de leurs rêves… On veut y croire. Très, très fort… Avec cette « Bouteille à la mer » Thierry Binisti confirme qu’il n’est pas qu’un réalisateur de téléfilms (souvent réussis) mais qu’il sait faire du cinéma, et avoir une intelligente et sensible direction d’acteurs. A signaler qu’il a également obtenu un prix spécial du jury.
Quand Tanger pleure son âme
« Sur la planche » de la cinéaste marocaine Leïla Kinali, récompensée par le jury jeunes, par le grand prix Arte Mare, et par un prix RCFM de la bande son a emporté le plus beau palmarès. Pour un premier court métrage la réussite est impressionnante. Elle souligne une fois de plus la qualité du 7e art marocain actuellement. Frappant et maîtrisé le rythme que la réalisatrice imprime à ses images. Récit du mal de vivre et du mal vivre de quatre jeunes ouvrières de Tanger « Sur la planche » avance comme un no future qui voudrait conjurer le sort à coups de petites débrouilles et de Ipod. C’est une obsessionnelle et volontaire mise en danger de filles astreintes à un boulot répétitif, sans intérêt, mal payé, mal odorant. Tourné avec des non professionnelles au départ, mais qui le sont devenues depuis, le film nous vaut une vraie performance d’actrices. Il nous conte encore une ville qui pleure son âme entre maousse zone franche et métastases de complexes touristiques. Documentariste à l’origine Leïla Kilani apporte son art du réel à une fiction sachant habilement dépassée le réalisme.
Le Talmud, version du père, version du fils
« Footnote » de l’israélien Joseph Cedar a obtenu une mention spéciale du jury, c’était là la moindre des récompenses pour une œuvre originale et caustique, qui va représenter Israël aux Oscars. Histoire savoureuse d’une rivalité entre un père et un fils qui s’affrontent dans leur domaine commun : la recherche talmudiste. Un père ignoré par le gratin intellectuel, fi donc ses recherches portent sur le Talmud de Jérusalem, essentiel dans le judaïsme. Un fils admis dans le cénacle des happy few pour son travail sur les mœurs maritales des Sages ! Situation absurde qui nous vaut une satire fine d’une certaine intelligentzia israélienne apte à prendre des vessies pour des lanternes en confondant profondeur et superficialité, car aveuglée par la course aux honneurs. Cedar s’en donne à cœur joie en assénant ses coups de patte à un ministère de la Culture en proie à une confusion stupide faute d’attention et de suivi des affaires, et à un État qui investit à tord et à travers dans des travaux qui manquent de sérieux. Pour se donner bonne conscience ? Pour conforter un bon droit politique grâce à un retour sur investissement intellectuel ?… Décapant, et grinçant « Footnote » a des trouvailles formelles intéressantes.
Le Caire et le harcèlement sexuel
Courageux et ambitieux le sujet de « Femmes du bus 678 » de l’égyptien Mohamed Diab, qui aborde le harcèlement sexuel constant dont sont victimes les femmes cairotes dans les transports en commun ou dans les rues. Qu’importe si elles sont habillées à l’occidentale ou portent le foulard ! Qu’importe si elles sont lettrées ou analphabètes ! Qu’importe si elles sont fortunées ou impécunieuses. Subir et se taire voilà leur sort. Parce qu’après tout c’est leur faute si les males s’excitent en leur présence, elles n’ont qu’à rester chez elles, et la misère sexuelle masculine se résorbera d’elle-même ! Refrain archi connu… Images âpres et cruelles de Diab. Images indispensables à l’heure de tant d’hypocrites pudibonderies, de tant de tartufferies au nom de principes religieux caricaturés. Et quel plaisir lorsqu’enfin les victimes se rebiffent…
« Le Havre » d’un finlandais
Impossible de ne pas parler du film de Aki Kaurismaki qui posa un point final à la manifestation bastiaise. Une œuvre hors du commun par cette façon si inhabituelle, si rare dans tous les sens du terme de filmer qui est celle du cinéaste finlandais. « Le Havre » c’est la ville bien sûr, et c’est l’abri qui met hors de danger… tout au long de son récit Kaurismaki joue sur les deux acceptions du mot. Un propos généreux : la main tendue à un gamin, immigré clandestin. Des comédiens dirigés avec une totale distanciation. Des décors recomposés comme dans des toiles d’un tel hyperréalisme qu’il touche au fantastique avec parfois des échappées sur des panoramas naturels. Un soin tout particulier accordé aux couleurs. Aux bleus. Aux verts. « Le Havre » a quelque chose d’une ritournelle métamorphosée en symphonie. En apparence on est loin de la Méditerranée, mais au vrai on s’en rapproche au plus près. Miracle !
Michèle Acquaviva-Pache