Un œil ? Une fleur ? Un logo informatique ? Un cercle magique venu du fond des âges ? L’œuvre de Laetitia Carlotti épanouie sur un coteau cap-corsin, près de Luri, est un peu tout ça, et porte le beau nom d’Arc en Cible.
L’œuvre avec ses couleurs irisées illumine la prairie où elle éclot. Sous la brise ses rouges, ses bleus, son vert, son jaune ondulent avec une douceur mêlée de sérénité. Elle est salutation au paysage avec qui elle entretient un dialogue bienveillant et amusé. Elle est aussi geste écologique puisque composée de 25.000 douilles de cartouches cueillies dans la nature et répandues un peu partout par des chasseurs frénétiques de la gâchette, de poudre et de balles, peu soucieux, somme toute, de la propreté des bois, des près et du maquis. Mais surtout Arc en Cible est une création plastique. Harmonieuse et d’une grande beauté visuelle. Discrète entre brindilles et repousses de myrte, discrète malgré la force de son rayonnement. Arc en Cible est une proposition tendre et amoureuse adressée à une activité humaine qui épargne abandon, désolation, déshérence d’une terre, pourtant douée pour une mise en valeur en symbiose avec l’environnement. Une terre nourricière. Une terre productive avec élégance, intelligence, simplicité… Les douilles multicolores sont montées sur des tiges métalliques piquées au sol. L’installation, la composition plutôt, résiste parfaitement à la violence des vents du Cap Corse, et cette réalisation les vaches de Jean Pierre Susini* l’ont apprivoisée avec cette calme obstination qui caractérise leur espèce ! L’œuvre est visible de la route qui conduit de la marine de Santa Severa au village de Luri. On la découvre sur la gauche. Il a fallu plus de trois mois à Laetitia Carlotti pour achever ce travail… Le temps que s’ouvrent les bourgeons d’un boqueteau voisin de peupliers… Le temps d’assister à l’évolution des verts de leur feuillage… L’artiste n’en est pas à son coup d’essai. En octobre on va la retrouver à la fête de la Biodiversité sur la plaine orientale. Sa démarche est engagement concret sur le terrain. Elle est recherche plastique. Elle est réflexion sur le paysage… sur ce que nous en faisons. Elle est éthique joyeuse de vie. Elle est tonique et poétique.
Michèle Acquaviva-Pache
*propriétaire du terrain et agriculteur
« Je voudrais que cet Arc en Cible soit comme un signe de protection du paysage. Il renvoie, en effet, à un geste conjuratoire. » Laetitia Carlotti
Le déclic qui vous a conduit à créer cet Arc en Cible ?
Quand je me suis mise à vivre en Corse, en 2000, j’ai fait la découverte du paysage sous un aspect sonore. Partout, où je me promenais, j’entendais des détonations et à certains endroits les douilles laissées par les chasseurs me donnaient l’impression de marcher dans des confettis de toutes les couleurs. J’ai fait la conjonction du bruit et de l’objet, et commencé ma cueillette de douilles. Cela m’a mené à l’exposition « Floris focus cultivar » au Parc de Saleccia où les douilles montées sur tiges de métal étaient présentées comme une variété spontanée de fleurs.
Vous insistez dans Arc en Cible sur l’association viser et voir, deux mots qui ont d’ailleurs la même origine latine, mais dans votre création se mêle aussi de l’écouter voir ?
Après le Parc de Saleccia j’ai fait, en 2007, une exposition au lycée agricole de Sartène intitulée « Bruit de fond », c’était comme un ruisseau de 5.000 douilles bleues sur tiges courant dans l’espace paysagé. Puis j’ai réalisé « Ondes et cible » dans le Massif Central en utilisant 15.000 douilles. Ici, au Cap Corse, il y en a 25.000 et Arc en Cible montre un signe qui fait écho dans le paysage pour inviter à l’habiter vraiment.
Qu’implique la réalisation d’une œuvre en plain champ ?
Penser aux éléments… Dans ce champ de Jean Pierre Susini j’ai été surprise, par exemple, par la violence du vent avec ses pointes à 120 km à l’heure. Il faut également composer avec la lumière qui change avec le temps, celui des saisons, celui de la météo. On doit encore tenir compte de la perdurance des matériaux car l’éphémère fait test. Et puis il y a à avoir une réflexion en accord avec le territoire.
D’ordinaire les douilles s’associent à la mort puisque les balles tuent. Avez-vous cherché à inverser cette connotation ?
Il n’y a pas eu volonté de retourner un processus. Mais j’ai pensé à des associations de mots et d’idées comme « la fleur au fusil »… Après coup j’ai été amenée à une réflexion sur le monde des pixels qui est maintenant le notre. Avec cette pixellisation où est désormais le réel ? Où est le virtuel ? En notre ère du pixel s’enfuit-on du réel ? Cette année l’IGN vient faire un travail en Corse et on va être « googolisé » ce qui ne me semble pas sans conséquences !
Arc en Cible avec son centre plus foncé fait penser à la pupille d’un œil. Une façon de renvoyer à des pratiques magico-religieuses tel que l’occhju ?
Je voudrais que cet Arc en Cible soit comme un signe protecteur du paysage. Il renvoie, en effet, à un geste conjuratoire. Même si on n’est pas préoccupé de spirituel l’art a toujours affaire à quelque chose de sacré.
Vous dites que votre langage plastique personnel pallie votre déficit en langue corse. Comment ?
La langue corse je ne la maîtrise pas complètement mais j’aime sa poésie, son humour… Humour, poésie, c’est dans ce potentiel que je puise mon langage plastique, qui comme tous les autres est singulier et surgit d’une faille des mots.
Vous considérez-vous comme une artiste engagée ?
Cette terre me donne et je me dois de lui restituer quelque chose. De lui prêter attention en l’habitant, car dans cette vie on ne peut se contenter de passer en touristes.
Les objectifs de l’association « ArterrA » que vous avez lancée ?
La directrice en est Anne Joëlle Cano qui apporte un appui précieux pour constituer les dossiers. Elle m’avait donné une carte blanche pour « Rendez-vous aux jardins », en 2005, à La Garde (83). Le but d’ArterrA est que les gens prennent possession de leur territoire par des créations éphémères d’artistes. A eux de monter leur projet et de convaincre leur entourage. A l’association d’aider à la diffusion pour aboutir à une véritable réflexion sur le territoire afin d’écarter la reproduction de modèles métropolitains.
Propos recueillis par M.A-P