« Canta », ce n’est pas seulement un passé – prestigieux – c’est un présent ainsi que le montre son dernier opus, « Altrimenti » et la tournée que le groupe vient de boucler dans toute la Corse, tournée qui devrait avoir un prolongement à l’extérieur.
En entendant et en voyant « Canta » sur
scène qui oserait affirmer que quarante ans
n’est pas un bel âge ? Autour d’un fondateur
comme Ceccè Buteau, d’un nouvel arrivé
comme Philippe Santoni, d’un « jeunevétéran
» partie prenante de l’aventure du
groupe depuis une quinzaine d’années comme
Jean Dominique Leca, « Canta u populu
corsu » suscite toujours le même engouement.
Ferveur et émotion à l’écoute des anciens titres
devenus des classiques, curiosité et plaisir à
la découverte des nouvelles chansons inscrites
à son répertoire.
Dans « Altrimenti » on ne s’étonnera pas
que « Canta » chante la révolte et la lutte
nécessaire contre l’injustice, la foi en la
Corse, l’exigence de la préservation et de
l’épanouissement de sa langue. L’île célébrée
bien sûr, mais encore ces combattants de la
fraternité, de la liberté, de l’âme des peuples
partout dans le monde qui nous vaut en
l’occurrence une ode à Madiba, celui qui a su
faire prévaloir la nation arc-en-ciel en Afrique
du Sud sur l’apartheid de sinistre mémoire.
Continuité des thèmes donc qui par la magie
du verbe des poètes se renouvelle néanmoins sans cesse. Prenants, parfois poignants, les textes
d’Alanu Di Meglio, Saveriu Luciani, ou
Ghjacumu Fusina. Tous ont ce quelque chose
qui miroite avec cette percutance qui touche
au coeur en restant cependant suggestive !
« Canta » pourrait aisément jouer du registre
facile et attendu de la nostalgie, le groupe se
garde de verser dans cette ornière redondante
et exaspérante. Il privilégie une lucidité
tonique qui invite, comme l’écrit Fusina, à
« vivre la vie qui viendra » (tantu ci vole à
campà/a vita chi venerà).
Si le groupe prend actes également des failles
d’un temps peu glorieux (y-en-eut-il de
vraiment et absolument de glorieux ?) ainsi
que le dit Ghj-F-Terrazzoni dans son texte qui
sert de conclusion à l’album, c’est pour parier
sur un avenir autre qui ne renie rien du
passé, socle incontournable pour bâtir un
futur.
A la réalisation de l’album « Altrimenti » Jean
Dominique Leca, chanteur-compositeur du
groupe et Jean Bernard Rongiconi du Studio
L’Angelina dont on reconnait la touche
personnelle dans les arrangements.
Le disque est dédié à Dumenicu Gallet et Dédé
Nobili… Ils ont tant fait pour le chant corse.
Michèle Acquaviva-Pache
L’équipe actuelle de « Canta » c’est un peu la relève ?
Oui et non… En tous cas on s’inscrit dans la continuité du groupe originel. On en est les héritiers et ça implique – au plan militant – d’être au service du peuple corse et d’avoir au niveau du disque et de la scène une certaine qualité artistique.
Vous qui êtes un trentenaire comment avez-vous découvert le groupe ?
… Qui ne connait pas « Canta » en Corse ? Personnellement j’ai été à l’école de chant de Natale Luciani, et de fil en aiguille j’ai intégré le groupe vers quinze ans. Aux côté de Natale j’ai beaucoup appris, puis il m’a proposé de lui donner un coup de main pour ses ateliers. Certains membres du groupe ont des parcours plus ou moins similaires, d’autres non. Mais tous ont a été fasciné par ce monument qu’est « Canta ».
Pourquoi avoir fait de la chanson « Altrimenti » le titre éponyme de l’album ?
On a hésité jusqu’au dernier moment. Si on a tranché pour « Altrimenti » c’est à cause du message de la chanson, de sa musicalité, de la nouveauté de l’écriture de Ghjuvan Federicu Terrazzoni, et pour les possibilités vocales qu’elle porte.
Comment choisissez-vous vos textes ? Sont-ils écrits spécialement pour vous ?
C’est un peu bizarre… Quand on sort un album, il y a des thèmes essentiels qu’on veut aborder. Sauf exception – comme le chant en mémoire d’Antone Casanova, étudiant tué à Corte – on ne demande pas aux poètes d’écrire sur un sujet très précis mais de parler de la Corse ou des préoccupations que reflètent l’actualité de l’île et du monde. Nous avons pour règle de conduite de rester en contact permanents avec eux tout au long de la réalisation d’un album.
Un poème de Terrazzoni ouvre le disque et un autre le clôt. Pourquoi ?
Ce n’est ni vraiment intentionnel ni véritablement le hasard… Terrazzoni, qui a 23 ans, révèle une remarquable qualité d’écriture, et on lui tire le chapeau ! J’avais entendu parler de lui pour ses chjami è rispondi. Depuis trois ans on communique et on travaille ensemble sur Facebook car il vit à Bonifacio… On ne s’est rencontré physiquement que quinze jour avant la sortie de l’album. C’est le côté utile des réseaux sociaux.
Vous avez composé la majorité des musiques d’« Altrimenti ». Compositeur, une vocation ?
Quand Natale Luciani est mort, j’ai senti qu’il fallait m’y mettre… Je fonctionne à l’inspiration et au ressenti que j’éprouve à la lecture d’un texte, sans me prendre la tête.
Votre spectacle a une tonalité plus rock que l’album. Pour quelle raison ?
Scène et album, c’est complètement différent. Les paramètres en jeu ne sont pas les mêmes. Un album c’est très pointu. Sur scène face à un public on chante en fonction de ce qu’on ressent et de la communication qui s’établit.
Quel est le public de « Canta » aujourd’hui ?
Il est très large. Il va de ceux qui nous suivent depuis quarante ans aux jeunes qui se retrouvent dans nos textes et nos musiques. « Canta » appartient à l’histoire de la Corse, mais le groupe se doit de toujours savoir évoluer au niveau du son, des arrangements, de la scène…
Propos recueillis par M.A-P