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ALTO ADIGE / SÜD TIROL

vendredi 16 août 2013, par Journal de la Corse

L’AUTONOMIE DANS TOUTE SA SPLENDEUR

Un panorama à couper le souffle : à l’Est les Dolomites, au Sud- Ouest la chaîne de l’Ortles, qui culmine à 3900 mètres, surplombant le fameux Stelvio et ses 2757 mètres (1), au Nord-Ouest les Alpes de Venosta où a été découvert « Ötzi », « l’homme des glaces », (voir encadré) une vue magnifique sur un paysage alpin à la fois sauvage et domestiqué par l’homme : nous marchons sur le sentier panoramique du Rittner Horn ( La Corne du Ritten), à 2.300 m, au-dessus de Bolzano ( Bozen), au coeur d’une région de 500 000 habitants appelée indifféremment « Südtirol » ou « Alto Adige », et dont l’histoire est quelque peu mouvementée. Aujourd’hui, le bilinguisme y est total, l’italien et l’allemand ont le même statut de langues officielles, comme en témoigne même le ticket du téléphérique qui nous emmène au sommet du Ritten.

Séparation du Nord et du Sud
Du Moyen-âge jusqu’en 1919 le Nord et le Sud du Tyrol étaient unis. Les Comtes du Tyrol avaient leur château ici, dans la partie sud, au dessus de Meran(o). Le légendaire héros des tyroliens, Andreas Hofer, est originaire, lui, d’une vallée voisine. En 1809, il a tenu tête, par trois fois, aux troupes napoléoniennes, avant de s’incliner lors de la quatrième bataille du Berg Isel (au-dessus d’Innsbruck, la capitale de la partie nord) et d’être fusillé à Mantoue l’année suivante. Puis arrive le Premier conflit mondial. L’Empire des Habsbourg, dont le Tyrol fait partie depuis 1363, s’écroule. Le Traité de Saint-Germain officialise, en 1919, l’écartèlement de l’Autriche-Hongrie  : l’Italie obtient que sa frontière avec l’Autriche soit tracée sur la crête principale des Alpes et récupère ainsi toute la partie du Tyrol qui est située au sud du col du Brenner (passo del Brennero). Commence alors pour la très grande majorité germanophone de la population un demi-siècle très dur à vivre :

Multilinguisme au lieu d’italianisation
D’abord, le gouvernement italien essaie d’italianiser le pays. L’un des artisans de cette italianisation du Tyrol du Sud est Ettore Tolomei (1865-1952). Géographe, historien et linguiste de formation, il a émis dès la fin du XIXe siècle l’hypothèse que la frontière entre l’Autriche et l’Italie devrait suivre la crête des Alpes orientales et que la partie méridionale du Tyrol devrait, par conséquent, être italienne, faisant fi ainsi de la culture – très majoritairement germanophone – du pays. Pendant la Première Guerre mondiale, il entreprend, pour le compte du gouvernement italien, la traduction en italien de noms de localités tyroliennes, préparant ainsi les revendications italiennes sur le Südtirol. Il semblerait, en effet, que la conquête du Südtirol ait été l’une des conditions pour l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés des alliés. Fasciste et proche de Mussolini, Tolomei exerce pleinement ses talents après 1919, quand l’italianisation du Südtriol – fusionné avec la province du Trentino et formant désormais la région de « Trentino – Alto Adige » – devient une réalité. Les villes, les rivières, les montagnes changent alors de nom (Bozen devient Bolzano, Brixen Bressanone, l’Eisack l’Isarco, le Rosengarten, l’un des massifs emblématiques des Dolomites, devient la Cima Catinaccio [ !]). Et même si, dans une minorité de cas, Tolomei peut se baser sur des racines latines, la plupart des nouveaux noms ne sont basés que sur des raisonnements pseudo-scientifiques. Dans les années 1920, Tolomei pense même à italianiser les patronymes germanophones, un dénommé « Gruber » étant censé devenir un « Dalla Fossa ». C’était aller trop loin. La communauté internationale, sensible aux plaintes de la population tyrolienne, a contraint le gouvernement de Rome à mettre fin à cet excès de zèle. Notons que les fascistes ont nommé Tolomei « Sénateur à vie » et que le Roi Vittorio Emmanuele III l’a anobli en 1938. Mais si l’italianisation complète du Südtirol a échoué et si la région est aujourd’hui un modèle de bilinguisme (voire de trilinguisme puisque dans les vallées des Dolomites le ladin est également reconnu comme langue officielle), c’est grâce à l’obstination de la population tyrolienne du pays qui n’a jamais renoncé à sa culture germanophone. Dès les années vingt, mais surtout après 1945, elle a mené une lutte âpre pour un statut d’autonomie au sein de l’état italien, à défaut d’un retour à l’Autriche. Il faudra des décennies de négociations entre l’Italie et l’Autriche et l’intervention de l’ONU, pour obtenir, en 1972, la rédaction du « Südtirolpaket », un train de mesures pour l’élargissement de l’autonomie. Vingt ans après, en 1992, la majeure partie d’entre elles sera réalisée, l’Italie et l’Autriche déclarent alors solennellement devant l’ONU la fin de leur différend.

Autonomie et prospérité
Aujourd’hui, le Südtirol bénéficie effectivement d’une large autonomie, notamment au titre de la protection de la majorité germanophone de la province (si elle représente environ les deux tiers de la population, elle n’est évidemment qu’une infime minorité au sein de l’état italien). L’allemand et l’italien sont les langues officielles à part égale et leur enseignement est obligatoire. S’y ajoute le ladin, reconnu et parlé par environ 30.000 personnes dans les vallées des Dolomites. Ces langues sont parlées partout : dans la rue, les commerces, à la télévision, jusque dans le confessionnal. Le parlement et le gouvernement de la « Province autonome » ont de larges compétences dans tout ce qui concerne les services publics, les services sociaux, l’éducation, l’environnement, les transports et le tourisme. Rome s’est engagé à reverser intégralement à Bolzano tous les impôts générés par les activités de la province. Il n’y a plus que quelques irréductibles comme les partisans d’Eva Klotz, la passionaria des extrémistes germanophones, qui affichent encore des panneaux où l’on lit : « Süd- Tirol ist nicht Italien » (« Le Tyrol du Sud n’est pas l’Italie »). Aujourd’hui, le Südtirol est une opulente région où il fait bon vivre. Ses atouts sont le tourisme, une agriculture et une viticulture axées sur la qualité des produits, une industrie de pointe dans des domaines très précis comme celui de la construction de remontées mécaniques. Son accueil aussi, à l’image de celui, très chaleureux, que nous ont réservé Barbara et Markus les propriétaires de l’Hôtel Tann, un 4**** en altitude (1500 mètres) au coeur d’une forêt de pins dominant Klobenstein/Collalbo, une localité de « Sopra Bolzano » (Ober-Bozen). Après les considérations historiques qui ont animé notre promenade « panoramique », nous dégustons à présent les spécialités d’une cuisine qui unit à merveille les saveurs de l’Italie à la richesse des mets autrichiens. Et de la terrasse de l’hôtel nous contemplons les Dolomites qui rosissent au soleil couchant. Tyrol autrichien/ Tyrol italien … depuis quelques années, la question semble moins aiguë, moins dramatique que dans les années cinquante du XXe siècle, même si, comme le dit un Tyrolien du Sud vivant à Innsbruck, il faut toujours se méfier des vieux démons. Après l’entrée de l’Autriche dans la Communauté européenne en 1994, les deux parties ont installé un bureau commun à Bruxelles, et depuis la signature des accords de Schengen en 1998, Tyroliens du Nord et Tyroliens du Sud se réjouissent au moins de pouvoir franchir le Brenner (longtemps considéré comme une frontière injuste) sans être obligés d’exhiber leur passeport.

Karl Zieger

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