Il y a toujours beaucoup de monde à vos conférences. Comment expliquer l’écho recueilli par votre travail ?
Du monde… et attentif en plus ! Comme psychothérapeute je parle de ceux qui viennent m’écouter. Je parle de l’humaine condition.
Rappelez-nous les clés de la résilience qui permet de rebondir après les épreuves, de surmonter les malheurs et les traumatismes ?
Un individu ne peut s’en sortir que s’il est soutenu. Si avant l’acquisition de la parole il a eu un bon entourage, il aura plus de chance d’être résilient en cas de nécessité. D’où l’intérêt de développer tout ce qui touche à la petite enfance et au « village », le lieu où se tisse des relations humaines. D’où l’importance de la niche sensorielle du jeune enfant pour le doter de forces en cas d’adversité.
Peut-il y avoir de résilience collective, en particulier pour les peuples victimes à un moment de leur histoire ?
Bien sûr ! Les cultures qui valorisent la résilience sont celles qui savent faire des récits aux valeurs explicatives redonnant un projet d’existence. Apporter des explications est indispensable pour sortir de l’hébétude comportementale. Le roman, le film, le théâtre servent à ça ! La musique, le dessin, la peinture aussi… Des faiseurs de récits dépend qu’il y ait résilience ou non.
Vous dites qu’on réaménage une identité individuelle tout au long d’une vie. Mais alors quand est-on vraiment soi même ? Qu’advient-il lorsque la vieillesse naufrage une personne ?
Le paradoxe de l’identité c’est qu’on est toujours soi-même alors qu’on change tout le temps ! La représentation de soi change. La conscience de soi change. Les gens âgés conservent longtemps une hyper conscience d’eux dans leurs récits se situant dans la tranche de leur existence qui va de 10 à 30 ans. Leur mémoire récente, elle, est mauvaise…
Sans tous ces réaménagements intérieurs auxquels procède un individu, pas de résilience possible ?
Outre le fait d’être soutenu il faut donner un sens à sa blessure. A son traumatisme. Il faut en faire quelque chose tout en sachant que la trace du trauma reste dans la mémoire.
Pourquoi est-il si dur de faire admettre à des juges que certaines personnes sont ravagées par certaines agressions ou abus alors que pour d’autres la blessure va être superficielle ?
La justice commence à peine à assurer une formation en psychologie aux futurs magistrats ! Votre question on se l’est posée à l’École de la Magistrature où j’interviens désormais… Les juges, dont 83% sont des femmes, sont confrontés à toutes les horreurs d’une société. Résultat, les « burn-out » sont nombreux. Il faut donc et préparer et soutenir psychologiquement ces personnes.
A 7 ans vous êtes arrêté par la police française aux ordres des nazis. Vous parvenez à vous échapper. A vous enfuir. A vous cacher. Sans votre propre histoire auriez-vous pu aussi bien analyser la résilience ?
Sans ce fracas d’enfance de guerre et d’après guerre : clairement non. On me répétait sans cesse qu’après ce qui m’était arrivé je ne pouvais pas faire d’études, mais le goût de la libération m’a fait agir. Je dois reconnaitre que ça ne suffit pas à faire de moi un bon exemple de résilience puisque je n’ai pas été entouré et que pendant quarante ans l’environnement culturel m’a contraint à me taire.
Vous insistez sur l’aspect bénéfique, bienfaisant du partage. Pourquoi ?
Parce que notre culture valorise trop la branlette narcissique, et que la réussite sociale n’est pas forcément synonyme de résilience qui doit impliquer épanouissement affectif et intellectuel. Le partage par contre c’est le don, l’échange, la rencontre, l’être avec, l’élaboration en commun.
Propos recueillis par M.A-P.