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Quartier de Pesce Anguilla:Touche pas au Puntettu !

jeudi 2 mai 2013, par Journal de la Corse

9 heures, un samedi matin. Le comité de quartier du Puntettu a invité à une visite guidée de Terra Vecchia. Ils sont nombreux au rendez-vous sur la place du marché de Bastia.

Affluence sympa. Très curieuse d’apprendre. De découvrir. Guide de la promenade : la très « pro » Isabelle Florès. Au programme une dizaine de demeures bastiaises bâties au XVIIème siècle, en une époque où calme, et paix riment avec prospérité. Parcours rue des Terrasses, rue Carbuccia, rue Droite, descente Romieu, rue des Mulets, place de l’huile. Étapes commentées devant e case Cardi et Castagnola, Varese et Rivarola, Bronzini di Caraffa, Guasco et Videau, Bonavita et Romieu, et enfin arrivée devant a casa Montesoro. Le chemin suivi dit les riches commerçants bastiais, leurs fortunes inscrites dans des détails révélateurs des portails, halls, montées d’escaliers de leurs demeures. Autant de traces à conserver dans la mémoire collective de la ville pour que son passé serve à forger son avenir. De halte en halte l’histoire de Bastia avec ses rivalités familiales, avec ses alliances, avec ses réalisations. Escales sans doute la plus inédite pour la majorité des participants : cette petite place dell’olio. C’est là que les Montesoro avaient édifié leur maison. Là, qu’ils s’étaient lancé dans le commerce de l’huile de myrte indispensable au tannage des peaux. C’est d’ailleurs non loin de cet endroit qu’étaient établis, sur le ruisseau du Guadello, des tanneurs. Aujourd’hui a casa Montesoro avec ses fragiles trésors architecturaux est menacée de destruction par un projet de la mairie contre lequel s’insurgent les habitants du cru et les amoureux du vieux Bastia, parce qu’il va raser un lieu de vie convivial. Parce que démolition de cinq immeubles, construction d’un parking de 80 places, dont 70 privatives, et divers aménagements afférents coûtent plus cher qu’une réhabilitation du bâti ancien, qui n’est d’ailleurs pas insalubre. Parce que l’attrait culturel et touristique de la ville va perdre en intensité. En poésie. En authenticité. Parce que l’ardoise à payer pour cette opération immobilière ne se justifie pas ni au plan social, ni au plan économique, ni au plan du potentiel de développement, ni au plan historique et architectural. Cette opération alimente aussi beaucoup de rumeurs autour du vieux Bastia qui est un vrai bijou. Pourquoi, par exemple, la municipalité achète-t-elle des appartements et des locaux dans ces quartiers anciens, si c’est pour les laisser en déshérence (1) ? Pourquoi diverses pressions sur les habitants des lieux, en particulier en dégainant si facilement des menaces d’arrêtés de périls plutôt… intempestifs ?

Michèle Acquaviva-Pache

(1) Au 4 rue Carbuccia la mairie ne s’est-elle portée acquéreuse d’un local dont le plafond se serait effondré faute de vigilance de sa part tandis que les copropriétaires sont appelés à ouvrir leurs portefeuilles pour réparer les dégâts ?

« Ici, on est porteurs de valeurs patrimoniales, il n’est qu’à interroger les guides touristiques. On est également porteurs de valeurs humaines car la cohésion sociale et la convivialité vraie on connait ! »

Michèle Chirat et Malou Emmanuelli (Comité du Puntetto)

Pour ceux qui ne connaissent pas bien le vieux Bastia pouvez-vous situer, localiser le Puntettu ?

Le Puntettu est au-dessus du quai sud du Vieux Port. Il comprend un espace partant du pied de la citadelle et allant jusqu’à l’immeuble Pouillon, qui s’élève au creux de l’anse portuaire.

Qu’est-ce qui fait la singularité du Puntettu par rapport à d’autres endroits de la ville ?

C’est le plus ancien habitat de Bastia, là où ce sont installés les gens de Cardo quand ils sont descendus au bord de la mer pour développer des activités maritimes et de pêche. C’est le quartier de Pesce Anguilla, le Gavroche bastiais, héros inventé par l’écrivain Sebastiano Dalzeto lorsqu’il écrit le premier roman moderne en langue corse. C’est le lieu connu pour ses « belles » dames. Quartier populaire par excellence, on y trouve aussi des demeures remarquables comme les maisons Romieu, Bonavita, Montesoro.

Que reste-il de la figure de ce môme déluré, impertinent qu’est Pesce Anguilla et que la prêtrise hissera dans l’échelle sociale ?

Un esprit de village. Une atmosphère familiale. Sur la piazza dell’olio, qui est un espace fermé, les enfants jouent toujours en toute tranquillité. Ici, les gamins qu’on a vu naître on continue à les embrasser lorsqu’ils sont grands. Au Puntettu, la mixité sociale dont on nous rebat les oreilles ça marche, car il y a une vraie intégration grâce à la transmission qui s’opère entre les générations.

Pourquoi un mépris pour ce quartier de la part de certains édiles ?

C’est bien plus que du mépris ! C’est de la honte qui est ressentie pour ces anciens quartiers qui sont taxés de miséreux. Alors on veut faire table rase… Détruire ! Or, avec ce genre de réaction on se trompe lourdement. Ici, on est porteur de valeurs patrimoniales, il n’est qu’à interroger les guides touristiques. On est également porteurs de valeurs humaines car la cohésion sociale et la convivialité vraie on connait !

Qui habitent le Puntettu aujourd’hui ? On dit que c’est très bobo !

Il y a ceux qui ont hérité et ceux qui ont acheté. Mais depuis quelques années la mairie préempte les ventes sans reloger personne dans les appartements qu’elle acquiert. Résultat : le quartier se vide et cette politique le dépeuple. Dire qu’il n’y a que des bobos c’est faux. Le quartier est très mélangé. La mixité sociale, culturelle, économique, religieuse est une réalité.

Quand et comment s’est constitué le comité de quartier ?

En 2007, quand on a découvert le projet de démolition de cinq immeubles, la construction d’un parking jointe à une promotion immobilière. Notre but c’est de défendre une politique de réhabilitation. En ce sens on a fait des propositions chiffrées. Parallèlement on veut aider les copropriétaires et promouvoir des animations.

Cette « Défense et Illustration » du Puntettu n’est-ce pas aussi une autre façon de faire de la politique ?

En nous voulant force de propositions et en luttant pour la réhabilitation d’immeubles dont aucun n’est entaché d’insalubrité on s’engage dans une démarche citoyenne qui est l’expression d’une politique participative.

La politique peut-elle faire l’impasse de la culture et du patrimoine ?

Quand on a le label « Ville d’Art et d’Histoire » comment se défausser ? Comment envisager l’avenir sans s’appuyer sur le passé ? Comment imaginer écarter la notion de transmission ?

(Propos recueillis par M.A-P)

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