Comment produire du commun en gardant sa singularité ? Christian Ruspini
Comment a germé l’idée de la pièce « Les Trois » ?
A l’origine il y a Olivier van der Beken, qui avait déjà fait une création avec Paul Grenier. Tous deux après m’avoir vu jouer m’ont demandé de les rejoindre. Nous sommes donc un musicien (Olivier), un comédien-metteur en scène (Paul), un comédien (moi). Trame retenue : l’histoire d’un trio musical qui veut réaliser un spectacle. Voilà pour l’intrigue !
Qui sont les personnages que vous incarnez ?
Je suis Vincent, qui fait des petits boulots mais croit en une carrière musicale. Olivier est Hervé, un fonctionnaire qui tous les ans monte un spectacle de chansons parodiques. Paul est Pierre, un directeur de ressources humaines, qui a une réussite professionnelle sans pour autant être satisfait de sa vie personnelle. Chacun d’eux a sa personnalité. Parallèlement aux « Trois » il y a dans nos dialogues des personnages satellites, et des personnages hors jeu qui surviennent.
Pourquoi avoir voulu associer le public à votre création et en même temps vous défendre de faire un théâtre interactif ?
Parce que les représentations n’ont aucune tonalité interactive. Mais durant notre cheminement créatif nous avons voulu recueillir des avis de notre entourage, puis des auditeurs de RCFM pour refléter un questionnement qui ne se réduise pas seulement à nous, pour avoir un retour sur notre travail et l’enrichir.
Pourquoi pas de femmes dans la distribution ?
Parce qu’elles étaient absentes de notre désir d’aventure artistique !.. Mais on ne se prive pas d’en parler … puisqu’on parle du monde d’aujourd’hui.
Entre vous trois vous avez beaucoup utilisé internet pour construire votre spectacle. Peut-on dire que c’est une « pièce by mail » ?
C’est assez vrai qu’on a écrit à distance. Mais chaque mois on a eu des retrouvailles « live »… Mais au démarrage chacun de nous a d’abord énoncé son credo en tant qu’individu, et donc fait part de choses relevant de l’ordre de l’intime qu’on a ensuite distancé.
Des tensions entre vous par moments ?
On voulait être et rester bienveillants, ce mot est revenu souvent dans nos discussions. On voulait s’entendre, s’écouter ce qui n’est jamais acquis d’avance. Quand il le fallait on s’est mutuellement corrigé ce qui impliquait de laisser de côté son orgueil.
Au bout de trois ans avez-vous trouvé un début de réponse à une de vos questions initiales qui était : « Qu’est-ce qui importe vraiment » ?
A brûle-pourpoint je citerai les intitulés des trois parties de la pièce : « Cette vie est-elle mienne ?.. Ouvrir donc se heurter … Ils ont travaillé la longueur de la chaîne … » Pour ma part je synthétiserai ma préoccupation par « Comment produire du commun en gardant une singularité ».
Les interrogations majeures de chaque personnage ?
La perte de soi pour Vincent. Faire plein de choses et s’apercevoir que ce n’est pas grand-chose pour Pierre. Être sans perspective et sans projection pour Hervé.
L’écueil à éviter dans ce genre d’entreprise ?
Manquer de distance car c’est du théâtre. Être donneurs de leçons. Faire l’impasse sur une intrigue, sur une histoire. Oublier que la singularité n’est rien sans les autres.
Vos projets à vous ?
Avec Francis Aïqui de l’Aghja je travaille sur « Love and money » un texte de l’Anglais, Dennis Kelly, qui va d’abord déboucher sur une lecture publique puis sur un spectacle à la rentrée. Avec Charlotte Arrighi on prépare pour le 7 mai, à Pigna, « Traité du funanbuliste » de Philippe Petit. Après avoir créé en novembre dernier « Le garçon de passage » de Dominique Richard, mis en scène de Paul Grenier, je vais jouer cette pièce aux « Teatrali », où l’on présentera aussi « Les Trois ».
Propos recueillis par M.A-P