«  Donner à lire un texte en restituant le bouquet de sensations que j’ai éprouvé à sa lecture  » François-Michel Durazzo De quelle manière concevez-vous votre rôle de traducteur ? Mon objectif est de donner à lire un texte en restituant le bouquet de sensations que j’ai éprouvé à sa lecture. Je n’ai donc pas un respect myope des mots. Je prends des libertés. J’ai imaginé en l’occurrence ce qui serait venu sous la plume de Dalzeto s’il avait écrit «  Pesciu Anguilla  » en français. Je me situe à l’opposé de l’attitude voulant qu’on sente le corse transparaitre sous le français, quand bien même combien on aime ça ici ! Traduire ce roman comportait-il des pièges ? Je parlerai plutôt de difficultés. Ainsi pour ce qui est de traduire ou non les surnoms, ce que j’ai fait finalement, sauf pour Le Turco, qui était déjà évident. J’ai aussi voulu éviter de sombrer dans la culture de la couleur locale, ce qui aurait été vite insupportable. Je ne voulais pas non plus de dialogues dans un français supposé rendre le parler bastiais de la fin du XIXème siècle. J’ai choisi de gommer certaines expressions corses : un échec assumé pour gagner autre chose … Les principales qualités du roman de Dalzeto ? Par son approche de l’amour libre doublé d’une compréhension de l’âme humaine il a un côté révolutionnaire pour son temps. Par sa critique de la société, de l’élite surtout – sans asséner de jugement – cette Å“uvre est moderne. Dalzeto est marxiste ce qui ne l’empêche pas de reconnaitre la valeur sociale du christianisme. Pépé l’Anguille ne ressemble-t-il pas au Julien Sorel de Stendhal ? Il y a des similitudes comme cette ascension d’un jeune homme qui s’extrait de la misère et se fait une place dans le beau monde. Mais ça s’arrête là  ! Il y a du calcul, de l’arrivisme chez le héros de Dalzeto, quand il est au séminaire. Mais il est indemne de ce cynisme qui le pousserait à se servir d’une femme pour parvenir à ses fins. Il ne fait de mal à personne. Pourquoi Sebastianu Dalzeto est-il passé de l’écriture romanesque en français au roman en langue corse. C’était pour lui une façon de répondre à un défi. Je pense qu’en écrivant en français il était en contradiction avec ce qu’il ressentait, lui qui se situait dans le sillage de Santu Casanova. D’ailleurs autant il est emprunté et moralisateur en langue française autant son style devient moderne et affranchi de pesanteurs moralisantes en corse. Preuve s’il en est que la langue porte la pensée. A qui s’adresse cette traduction ? A tous ceux qui n’ont pas accès au corse … J’aimerai qu’elle soit une sorte d’ambassadrice de notre culture. Sans être moralisateur il y a une dimension morale chez Dalzeto ? Dans ce roman il y a deux personnages emblématiques : le père et le fils. Au départ ils sont socialement au même point. Puis pour échapper à la misère le premier dépense son argent au bistro et noie ses frustrations dans l’alcool tandis que le second se tire d’affaire par son travail. Là , réside peut-être la morale de l’histoire. Où se situe Sebastianu Dalzeto dans la création insulaire ? Sa génération est issue de l’école de la République. Elle n’a pas été élevé dans la culture italienne comme celles qui l’on précédée. Mais il est manifeste qu’en français il manque à Dalzeto quelque chose. Par sa conception de la société il est proche du Victor Hugo des «  Misérables  », ou d’un Eugène Sue. Par son amour de la vie, par sa bonne humeur, par son regard tendre et fraternel sur ses semblables il a une grande proximité avec Pagnol. Propos recueillis par M.A-P Â