C’est un très bel album que nous offre en ce début d’été Barbara Furtuna avec « Sì vita sì ».
Maxime Merlandi, André Dominici, Jean Pierre Marchetti, Jean Philippe Guissani, quatre quadras qui ne chantent pas pour ne rien dire et surtout pas n’importe quoi ! Des mélodies profondes d’émotion. Des textes forts qui se préoccupent moins des codes et des règles que du sensible. Des voix qui savent l’ampleur et la réserve, la ferveur et la grâce. Aucune emphase mais le souffle de la sincérité, et sous une certaine simplicité la complexité des choses et du monde qui nous entoure. A quatre voix des chants polyphoniques, qui dessinent des images d’espoir portées par la foi en la communauté humaine et une terre, la Corse, ballottée dans des vents contraires, qui font surgir des paysages musicaux échos de temps anciens et plaident pour un demain avec ses inévitables tâtonnements, ses possibles erreurs, ses réussites aussi. Il y a dans cet album une mélancolie intensément prenante qui ne verse jamais dans cette nostalgie qui fait un suaire aux envies et fige les volontés. Pas de pathos mais toujours cette énergie qui insuffle un appétit de vivre et un refus de baisser les bras. « Si vita si » porte une parole indemne de cet apitoiement et de cette autoflagellation, voulant qu’on soit les pires – après avoir été les plus beaux et les meilleurs – parce qu’ainsi le veut la mode et le ton chic du jour ! Les chanteurs de Barbara Furtuna optent, eux, pour un optimisme accordé à la lucidité, cet outil indispensable au discernement. Pour l’action. Pour la réflexion. Pour être… Si l’album fait la part belle aux voix il n’écarte pas les instruments et les arrangements. Il est à la fois dépouillement et richesse de sens et de sons. Il est nuances, finesse, maîtrise. Parmi ses propositions : une reprise très personnelle des « Vieux amants » de Brel dans une interprétation surprenante et bouleversante. Un « Ad amore » d’une délicieuse préciosité et d’une fraicheur saisissante – un tour de force d’allier ces caractéristiques si antinomiques… en apparence. « Sì vita sì », ce titre générique de l’album est un de ces airs-repères de la production musicale corse, une invitation à surmonter tous les aléas et à aimer. Avec « Luntanu » on part pour le voyage que chacun de nous à au fond de son cœur… loin, dans un lointain qui appelle à revenir. A revivre.
Michèle Acquaviva-Pache (photos François Balestrière)
« La scène c’est notre lot de lumière, mais les sensations qu’on y ressent ce n’est pas la réalité, et l’on peut avoir l’impression de se perdre… »
Jean Philippe Guissani
Vous écrivez les paroles et Maxime Merlandi les musiques de Barbara Furtuna. Comment cela se passe-t-il entre vous ?
Le texte vient après la musique, c’est elle qui impulse les mots. Maxime ne compose pas avec des notes mais sur quatre pistes en chantonnant en « yaourt », cette langue improbable. C’est là que j’interviens. Du mot c’est toujours la musicalité qu’on retient. Les mots doivent couler.
Vos thèmes de prédilection ?
L’amour bien sûr. Le monde. Notre vie. Sur l’album « Luntanu » évoque des marins qui partent au loin durant de nombreux mois. Ce titre est inspiré du spectacle « Bleu Conrad » sur la vie du navigateur-écrivain auquel nous avons participé. « Verani », c’est l’évocation des foules des printemps arabes ou des indignés rassemblées pour dire le refus de ce qu’on leur fait endurer, et leur espérance de renouveau.
Si vous aviez un mot pour définir la relation mot-musique ?
Complicité… elle est nécessaire, quitte à enfreindre certains accents toniques ! Par notre manière de composer et d’écrire nous sommes auteur-compositeur par défaut. Je n’éprouve pas le besoin de faire des textes pour d’autres, car mon objectif est de servir le projet du groupe : je suis surtout chanteur !
Barbara Furtuna se produit beaucoup hors de Corse. Votre plus forte émotion loin de l’île ?
Ce qui marque c’est plutôt l’anodin, l’entre les lignes, les petits riens des moments qui ne sont pas programmés, tout ce qui fait la petite histoire de la belle histoire du groupe. La scène c’est notre lot de lumière mais les sensations qu’on y ressent ce n’est pas la réalité, et l’on peut avoir l’impression de se perdre, d’où le besoin de ne pas s’enfermer dans un personnage.
Comment avez-vous été amené à chanter avec l’ensemble baroque L’Arpeggiata et à enregistrer avec lui l’album, « Via Crucis » ?
On faisait la première partie du récital de Lucia Galeazzi à L’Européen de Paris. Une salle plutôt fade et pas glamour du tout ! Christina Pluhar de L’Arpeggia assistait au concert. Quinze jours après elle nous appelle : elle ne nous avait pas retenus pour notre prestation sur scène mais pour ce qu’on avait chanté dans le minibus qui nous amenait au restaurant à la fin du spectacle… ça c’est la magie des petits riens !
Avec « Bleu Conrad » vous vous êtes frotté au théâtre. Qu’avez-vous retiré de l’expérience ?
Des acquis quant à la gestuelle sur un plateau, des manières de se déplacer. On a aussi appris à développer une capacité d’écoute différente, en l’occurrence à l’égard du comédien, Michel Albertini.
A l’actif de Barbara Furtuna il y a des projets menés en commun avec différents chanteurs et musiciens étrangers. Que vous ont apporté ces échanges ? Avec qui les avez-vous eus ?
A prendre notre place sans perdre notre âme. Parfois ce n’est pas simple d’établir des ponts, des passerelles d’une musique à l’autre. Nous avons chanté avec L’Ensemble Zadeja d’Albanie à Pigna, au Théâtre de la Ville de Paris, et à Tirana. Nous nous sommes produits avec l’Ensemble Constantinople. Avec l’Orchestre Philharmonique de Prague nous avons reçu une grande leçon de chant. Au début devant ces soixante musiciens c’était un peu la panique. On s’est lancé… ils nous ont suivis !
Barbara Furtuna, à l’extérieur de l’île ce nom doit susciter bien des interrogations ?
Ça intrigue. Il peut arriver qu’on nous prenne pour une femme ! Pour nous c’est un chant d’exil et tout d’attachement, tout d’enracinement à notre terre. C’est un nom emblématique de l’île avec ses ambigüités.
En fonction de quels critères se souvient-on d’un lieu plutôt que d’un autre où l’on a chanté ?
Il y a trois sortes de lieux : les scènes prestigieuses telles le Carnegie Hall, à cause de leur renommée. Ceux qu’on oublie aussitôt car ils ne vous ont pas touchés. Ceux où on a eu une très forte émotion car le public a été formidable… et ce peut être des salles assez improbables !
(Propos recueillis par M.A-P.)