Une BD qui met en scène des militants du FLNC et de l’IRA
Le premier épisode de Libera Me, « Ribelli », vient de paraître, aux éditions DCL. Quatre auteurs ont associé leurs efforts pour réaliser le premier volet d’une trilogie révolutionnaire : un Irlandais, Miceal O’Griafa. Un Corse : Frédéric Bertocchini. Accompagnés par Michel Espinosa aux dessins et Pascal Nino à la couleur. Le premier épisode porte le lecteur au cœur des sphères révolutionnaires corso-irlandaises au début des années 80. C’est explosif ! Rencontre avec Miceal O’Griafa et Frédéric Bertocchini.
Est-il difficile d’écrire ce genre d’histoire, qui se déroule dans les sphères révolutionnaires d’une époque très contemporaine ?
Miceal O’Griafa : Aucunement. Et c’est d’autant plus essentiel de le faire à l’ère du village global et de la mondialisation. Je constate avec joie que c’est en s’appuyant sur ses racines, mi Corses mi Irlandaises, que ma fille de 17 ans devient une vraie citoyenne du monde.
Frédéric Bertocchini : Le premier épisode de Libera Me se déroule en 1981. J’avais 7 ans à cette époque là. En ce qui me concerne, j’ai délibérément opté pour un choix romantique. C’est-à-dire que j’ai écrit des séquences inspirées de mes souvenirs lointains, de mes impressions de petit garçon. Nous sommes donc très loin d’une vision historique des choses, même si le récit reste réaliste.
Vous êtes Irlandais, et Corses, ça aide pour traiter ce genre de sujet ?
Frédéric Bertocchini : Bien sûr. C’est essentiel ! Lorsque l’on voit comment la Corse est représentée dans la plupart des fictions cinématographiques ou télévisées, c’est franchement agaçant. Peut-être qu’il fallait aussi une certaine « fibre » pour s’aventurer sur ce terrain là, sans y glisser franchement.
Miceal O’Griafa : C’est un atout indéniable puisque nous observons de l’intérieur. Nous avons grandi avec l’histoire révolutionnaire, ses rites et ses codes. Et surtout notre vision n’est pas déformée par le sensationnalisme médiatique. Quand je vois comment la Corse peut être présentée à la télévision Française, par exemple, je reste souvent consterné.
Oui, mais peut-on avoir assez recul sur les situations ?
Miceal O’Griafa : Il y a une part de subjectivité assumée (rires). Ce n’est pas un sujet sur lequel on peut rester neutre, mais nous ne sombrons pas dans le manichéisme non plus. Notre galerie de personnages comprend des héros et des salauds dans chaque camp. Par ailleurs nos formations respectives d’historien et d’archéologue, à Frédéric et à moi, nous permettent d’éviter de tomber dans l’apologie simplette ou le brûlot politique.
Frédéric Bertocchini : C’est effectivement le risque. Mais Miceal a tout dis lorsqu’il évoque ces « salauds » qu’on trouve dans notre série. Ils sont partout. Il ne fallait surtout pas idéaliser les mouvements révolutionnaires. Sinon ce serait ôter toute crédibilité.
Pourquoi un scénario à quatre mains ?
Miceal O’Griafa : Parce qu’une histoire comme celle-là se fonde sur les valeurs d’amitié, d’échange, de confiance, de loyauté et de fraternité qui ont présidé à notre rencontre comme à notre collaboration.
Frédéric Bertocchini : Miceal a tout dit. En plus de cela, je pense qu’artistiquement, nous sommes à la fois cohérents et complémentaires. Miceal est plus dans l’action, l’intrigue. Moi, plus dans l’émotion, le psychologique. Ca se marie bien au final.
Votre bande dessinée est très réaliste, nous sommes à mi-chemin entre le thriller et l’historique. C’est un choix délibéré ?
Miceal O’Griafa : Oui, nous sommes persuadés que le rythme dynamique du thriller, surtout servi par le dessin réaliste de Michel (Espinosa) et les couleurs nuancées de Pascal (Nino), fait mieux ressortir les problématiques historiques. Le but de la bd est de divertir. Si cela donne envie de se plonger dans les livres d’histoire, c’est encore mieux.
Les personnages sont-ils purement fictifs ? Ou bien y a-t-il des personnalités cachées ?
Frédéric Bertocchini : Il y a de grandes figures de l’époque, comme Margaret Thatcher, François Mitterrand, Bobby Sands. Mais tous les personnages sont issus de notre imagination. Nous avons certainement été influencés par notre inconscient, mais le récit est vraiment fictif.
Miceal O’Griafa : Cette BD est ancrée dans l’Histoire. Certains personnages cités sont réels, mais en ce qui concerne les personnages principaux, non, toute ressemblance serait fortuite.
Votre album sera sans doute lu par des militants ou ex-militants de l’IRA ou du FLNC, une appréhension ?
Miceal O’Griafa : Aucune, sinon celle de ne pas avoir été dignes de la mémoire de ceux qui sont tombés au front. Cette bande dessinée se veut d’abord un hommage à ces militants. Quand je pense aux grévistes de la faim de 81, j’admire qu’ils aient pu croire à la Cause jusqu’à lui faire don de leur vie au terme d’une longue agonie, mais à vrai dire, ce qui m’impressionne le plus c’est qu’ils aient également trouvé la force de délibérément troquer une existence individuelle alternative contre un idéal commun. L’authentique militant qu’il soit Corse, Basque, Irlandais ou d’ailleurs, sacrifie sa vie de couple et surtout de parent (le choix le plus douloureux qui soit) pour que ses enfants vivent des lendemains meilleurs. Il oublie ses rêves de jeunesse, abdique sa créativité, met son ambition de côté, soit toute la promesse d’un destin personnel qui aurait pu lui valoir gloire et félicité. Quelle place au Panthéon des écrivains aurait pu connaître Bobby Sands s’il n’avait troqué la plume pour le fusil ? Probablement égale au moins à celle d’un autre de nos poètes soldats, Patrick Pearse, l’insurgé de 1916, qui, (en parlant de l’histoire Irlandaise mais cela pourrait aussi bien s’appliquer à la Corse) a écrit : « Il peut sembler fou, aux yeux des hommes sages de ce monde, celui qui a tout donné, mais ce furent ceux qu’on croyait fous qui ont changé le cours de l’histoire »1
Frédéric Bertocchini : Cela ne m’a même pas effleuré l’esprit. Le fond historique est certes véritable, mais il s’agit d’une fiction avant tout. La grande question est la suivante : jusqu’où peut-on aller pour défendre un idéal ou la liberté ? Tout est une question de sacrifice au final. C’est ce qui ressort dans la BD je pense...
E.C.
1 “He may seem the fool who has given his all, by the wise men of the world ; but it was the apparent fools who changed the course of Irish history”.