Leur album porte le nom de leur groupe : « Antone et les Ogres ». Des titres en anglais et en corse à la saveur si fertile des seventies. Un ovni dans un ciel de la chanson corse bourdonnant trop souvent de redites et d’infinies répétitions.
Amusante cette dénomination d’ »Antone et les Ogres ». Elle fleure le conte pour enfant inspirant rêverie ou sommeil du soir après ces si belles et bonnes frayeurs qui se gardent toujours de rompre les digues de l’imaginaire. A moins qu’ »Antone et les Ogres » ne soit de la part du groupe quelques rodomontades à l’adresse de leurs concurrents de la scène et du disque ? Une fanfaronnade destinée à éclore en petite blague ponctuée d’un grand éclat de rire ? Cet intitulé raconte Antone Sicurani, le fondateur du groupe, joue de cette dichotomie, et ceci d’autant plus volontiers que le bassiste chauve et d’une taille imposante évoque - de loin – certaines ressemblances avec l’image du croque-mitaine des légendes ou des cauchemars (encore une plaisanterie !). Mais sûr en tous cas que chanteurs et musiciens du groupe sont des ogres de musique. L’album, qui a l’originalité d’intégrer des cuivres – dont un très bon sax – offre un son chaud, généreux, parfois lyrique. Affirmée et assumée sa référence aux seventies. Il a des couleurs acidulées, vibrantes et ferventes, et ce clair-obscur éclairé d’humour ou mêlé de mélancolie. En même temps, comme pour illustrer sa force des contraires il a un rythme tonique et salutaire. « Antone et les Ogres » est créé en 2010 par Antone Sicurani qui a quitté les « Wonderful Hippies ». Ce Balanin à peine trentenaire a déjà à son actif un beau parcours artistique. Il mène de front une activité de compositeur-auteur, d’ingénieur du son et de réalisateur de disque, de guitariste et de chanteur. En ouverture de l’album « In nome di », un acte de foi empli de puissance, de détermination et d’émotion. Une célébration de la nuit, ce temps ample du mystère où germent des vérités lumineuses. « Farfalla », conjugaison harmonieuse du corse et du rock. Mariage élégant d’une langue et d’un son. Un couple texte-musique en accord parfait. Des morceaux en anglais (et en toute subjectivité) : « I prefer radio », expression d’un accès d’agacement saupoudré d’ironie. « Womb tomb », écho mi-allusif mi-ambigu d’une confidence doublé d’un conseil en direct d’outre-tombe. Deux intéressantes reprises également : « A fiera di San Francè », version rockeuse et très remarquée du célèbre chant traditionnel. « Ring of fire » de Johnny Cash dans une très convaincante interprétation. « Antone et les Ogres » c’est encore la richesse et la souplesse d’une voix… celle d’Antone Sicurani. A suivre donc ! C’est facile ! Le groupe se produit en effet au théâtre de Bastia en première partie de Rover, le 15 mars.
Michèle Acquaviva-Pache
« Tous ceux qui, ici, font une production alternative sont confrontés à un manque de curiosité. N’est valorisé que ce qui vient de l’extérieur ou ce qui l’est par l’extérieur alors qu’il faudrait mettre en valeur le qualitatif. »
Antone Sicurani
Pourquoi avoir appelé votre album du nom de votre groupe ?
Pour l’efficacité de notre communication car il est difficile de se faire connaitre avec une musique comme la notre… Pour ne pas brouiller les pistes. En outre sur ce premier album on dit beaucoup de choses musicalement et thématiquement, alors mettre un titre en avant était délicat.
A 30 ans vous avez déjà un cv étoffé. Quelle est l’étape clé de votre parcours ?
Mon stage professionnalisant au Studio Davout, à Paris, à la fin de mes études de politique culturelle en fac. Au Studio Davout j’ai appris des choses essentielles en matière d’enregistrement et cela m’a donné le goût définitif de la musique.
Comment définir le fil conducteur de l’album ?
C’est du rock à tendance progressive qui mélange jazz et acquis de musique traditionnelle à la façon des seventies qui est le son que je préfère. C’est d’ailleurs pourquoi après avoir enregistré à Pigna on est allé mixé en Angleterre, terre d’origine de cette musique.
Pourquoi des chansons en anglais ? Parce que c’est dans l’air du temps ?
Parce que les maîtres du rock sont anglo-saxons tout comme 98% de mes références. Parce que ma méthode de composition consiste à partir d’une base harmonique et qu’avec quelques accords je m’achemine vers une mélodie qui s’exprime par onomatopées. De fil en aiguille cela m’amène à la phrase qui va être le début d’une chanson. En langue corse j’ai écrit la moitié des textes, l’autre est l’œuvre de Francescu Viangalli, dont certains poèmes de construction formelle irrégulière présentent un vrai défi musical pour moi.
En anglais n’avez-vous pas peur d’être… schématique ?
Je discute de mes textes avec des amis anglais avec qui je parle toujours leur langue. Et puis les anglo-saxons eux-mêmes utilisent dans leurs paroles de chansons un vocabulaire réduit ! Longtemps, aussi, j’ai considéré le texte secondaire, ce qui n’est plus trop le cas, bien que je m’attache surtout à la musicalité des mots. Par la suite je veux introduire plus de chansons en langue corse.
Une humeur, une sensation, un sentiment… une chanson, que doit-t-elle refléter pour vous ?
Un état d’âme ! L’idée étant de combiner plusieurs états d’âme pour obtenir la gamme de nuances qu’on a en musique classique… Au fond, un état d’âme n’est jamais complètement mono-émotionnel ! Mais toujours plus ou moins pluriel !
Autant que l’émotion on souligne l’humour de vos morceaux. « Womb to tomb » relève-t-il de cette catégorie ?
L’histoire raconte mon point de vue sur l’au-delà : enterré on n’entend plus rien alors l’important est de chanter vivant. Si humour il y a, c’est un humour un peu décalé !
« I prefer radio » affirme un titre. Même thème d’une chanson nouvelle de La Grande Sophie. Voilà une concordance de temps pour une concordance d’avis et ce au moment où l’audience des radios grimpe. Votre réaction ?
La radio c’est un panel d’émotions à capter tout en pouvant faire autre chose. Elle n’est pas accaparante comme la tv. Pas abêtissante comme beaucoup de chaînes qui font dans le bas de gamme… En fait, les thèmes de mes chansons sont très circonstanciels. Rien n’est « stratégisé » à l’avance. C’est comme dans ma production musicale où rien ni tout blanc ni tout noir.
« In nome di » est un très beau morceau. Se situe-t-il entre sacré et profane ?
Sa teneur, son sens sont à chercher du côté de l’écologie et du nationalisme corse. Il commande le respect de la terre qui est la nôtre, tel doit être notre rôle à nous qui sommes si infimes dans l’univers. Il sacralise la nuit, même si elle doit devenir bleue.
Quel est votre public ?
Celui des gens musicalement très ouverts qui comprend malheureusement peu de Corses de souche qui, eux, se laissent formater par téléréalité et autres infantilisations. Tous ceux qui, ici, font une production alternative sont confrontés à un manque de curiosité. N’est valorisé que ce qui vient de l’extérieur ou ce qui l’est par l’extérieur alors qu’il faudrait mettre en valeur le qualitatif.
(Propos recueillis par M.A-P)