La réminiscence historique est rarement absente des choses de Corse. Certes, comme chacun sait, il ne s’agit pas non plus de faire référence inconsidérée au temps des diligences et de la marine à voile. La marine à voile, justement, on peut, tout de même, l’évoquer, puisque nous vivons dans une île.
Comme nul ne l’ignore non plus, entourée d’eau de toute part. Le rappel à l’Histoire a pourtant fait singulièrement défaut dans les commentaires et gloses suscités lors des avatars de la SNCM, de ses services maritimes, du service public, des grèves de ses marins et des incommodités de ses usagers. Il n’est pas sans intérêt de pallier cette lacune historique. La marine à voile était marquée par la précarité des relations. Barques, tartanes, felouques, brigantins et vaisseaux, partaient au gré des vents ou des orages et arrivaient quand ils pouvaient. Peu à peu s’établirent, à la fin du 18e siècle, des départs à jour fixe. Mais les transports subissaient toujours la lenteur des voyages et l’inexactitude des horaires. Ce n’est qu’au début du XIXe siècle, que s’établirent des relations vraiment régulières. Les lignes relevaient de l’entreprise privée. En 1842, des avisos à roue à aubes unirent Marseille à Ajaccio et Bastia, établissant des relations postales maritimes pour le compte de l’Etat. Cette sorte de nationalisation des lignes fut finalement désastreuse et fit perdre au Trésor Public en une dizaine d’années quelque cinquantaine de millions de francs or. On revint aux particuliers. Dès lors le service public fut concédé à l’entreprise privée avec un cahier de charges. Les lignes méditerranéennes furent exploitées, à partir de 1851, par la Compagnie des Services Maritimes de Messageries Nationales. Cette compagnie, sous le nom de Compagnie des Messageries Nationales gérait jusqu’alors les lignes de diligences. Elle acheta à l’Etat les bâtiments en service et assura le service des lignes méditerranéennes, à savoir Marseille-Corse et Toulon-Alger pour son propre compte. Parallèlement se fonde à Bastia, en 1840, la compagnie Insulaire de Navigation des frères Jean- Mathieu et Joseph Valery, qui possède douze vapeurs et affiche un capital de 120 000 francs. Elle connaîtra une belle expansion, à partir de 1846, avec Joseph Valery, l’héritier, qui fait passer la flotte de douze à trente trois navires et le capital de 120 000 francs à 12 millions de francs. La compagnie, adjudicataire du service postal, assure la desserte de cabotage des ports corses, des lignes Corse-Marseille, Corse-Nice Corse-Toulon et même Corse-Sardaigne sans compter les liaisons entre Marseille, la Tunisie, l’Algérie et l’Espagne. La richesse de son patron, devenu le comte Valery, s’extériorise par un splendide hôtel particulier, dont la ville de Bastia regrette encore la démolition, survenue au cours des années cinquante du siècle dernier. Puis vint la compagnie Fraissinet et enfin la Compagnie Générale Transatlantique, la « Transat », qui fut nationalisée à la fin de la seconde guerre mondiale. Comme ce bref aperçu permet de le constater, le service public fut d’abord assuré par l’Etat et ensuite par des concessions à l’entreprise privée, pendant un siècle, pour revenir enfin à l’Etat. La boucle était bouclée. Mais un autre cycle privé s’est ouvert avec la Corsica Ferries qui a damé le pion à la SNCM pour devenir la première compagnie maritime sur la Corse. Il arrive, parfois, que l’histoire se répète.
Marc’Aureliu Pietrasanta